Siegfried Sassoon

sassoonsiegfriedSiegfried Loraine Sassoon (8 septembre 1886 – 1er septembre 1967) est un poète et écrivain anglais qui a influencé des auteurs tels que Wilfred Owen ou Robert Graves. D’abord connu pour ses écrits pacifistes au cours de la Première Guerre mondiale, il a acquis plus tard la célébrité avec ses mémoires et ses œuvres de fiction.

Il est né dans une maison nommée Weirleigh (qui existe encore) dans le village de Matfield (Kent), d’une mère anglo-catholique et d’un père juif, Alfred Sassoon, appartenant à une riche famille de commerçants indiens, les Sassoon, des juifs Baghdadi ; il avait cependant été déshérité pour s’être marié avec une non-juive. Sa mère, Theresa, appartenait à la famille Thornycroft, des sculpteurs à qui l’on doit un grand nombre des statues de Londres les plus célèbres, et son frère était Sir Hamo Thornycroft. On ne trouvait aucune ascendance allemande dans la famille et Siegfried devait son prénom peu commun au goût de sa mère pour les opéras de Wagner. Son deuxième prénom lui avait été donné en l’honneur d’un pasteur qui était de ses amis.

Sassoon a fait ses études à la New Beacon Preparatory School dans le Kent, au Marlborough College dans le Wiltshire, et au Clare College (Cambridge), (dont il est devenu membre honoraire en 1953) où il a étudié à la fois le droit et l’histoire de 1905 à 1907. Toutefois, il a abandonné l’université sans diplôme et passé les années suivantes à chasser, à jouer au cricket et à publier à compte d’auteur quelques volumes de poésie qui n’eurent guère de succès. Ses revenus suffisaient juste pour qu’il n’ait pas eu besoin de chercher un emploi, mais pas assez pour une existence de dandy. Son premier succès véritable a été The Daffodil Murderer, une parodie de The Everlasting Mercy de John Masefield, publié en 1913 sous le pseudonyme de “Saul Kain”.

Poussé par son patriotisme, il a rejoint l’armée dès que la Première Guerre mondiale a été sur le point d’éclater et il servait au Sussex Yeomanry le jour où le Royaume-Uni a déclaré la guerre (4 août 1914). Il s’est cassé le bras dans un accident de cheval, ce qui l’a empêché de combattre avant même qu’il ait eu quitté l’Angleterre et il a passé en convalescence le printemps 1915. C’est à ce moment-là que son jeune frère Hamo a été tué à Gallipoli ; Rupert Brooke, que Siegfried avait brièvement rencontré, est mort pendant le trajet. La mort de Hamo a été un très rude coup pour Siegfried.

En mai de cette même année, il a rejoint les Royal Welch Fusiliers comme officier et, en novembre, a été envoyé en France au premier bataillon. Il s’est trouvé alors en contact avec Robert Graves et tous deux sont devenus grands amis. Ils étaient unis par leur vocation poétique, et chacun lisait souvent le travail de l’autre et le discutait. Même si cela n’a eu guère d’influence sur la poésie de Graves, son point de vue sur ce qu’on peut appeler le réalisme rocailleux a influencé profondément l’idée que se faisait Sassoon sur ce qui constituait la poésie. Rapidement il s’est retrouvé horrifié par les réalités de la guerre, et le ton de ses écrits a changé complètement : alors que ses premiers poèmes manifestaient une douceur romantique de dilettante, sa poésie de guerre a évolué vers une musique de plus en plus discordante, destinée à faire connaître dans toute son horreur la vérité des tranchées à un public jusqu’à présent bercé par la propagande patriotique. Les détails comme les cadavres en train de se décomposer, les membres déchiquetés, la crasse, la lâcheté et le suicide caractérisent son travail à ce moment-là, et cette philosophie du “no truth unfitting” a eu une influence considérable sur le mouvement qui conduisait à la poésie moderniste.

Les périodes où Sassoon a servi sur le front occidental ont été marquées par des actions d’un courage exceptionnel, comme lorsqu’il s’est emparé à lui tout seul d’une tranchée allemande de la ligne Hindenburg. Il sortait souvent pour des raids de nuit et des patrouilles de bombardement, et il s’est montr » d’une impitoyable efficacité à la tête de sa compagnie. Sa dépression, qui ne cessait de croître devant l’horreur et la misère que les soldats étaient obligés de supporter, faisait paradoxalement de lui un maniaque du courage, au point qu’il a été surnommé “Mad Jack” par ses hommes, pour ses exploits quasi suicidaires. Mais bien qu’il ait été été décoré pour sa bravoure, il a décidé en 1917 de prendre position contre la façon dont la guerre était conduite. L’une des raisons de son opposition violente à la guerre a été le décès de son ami David Thomas Cuthbert (appelé “Dick Tiltwood” dans la Sherston trilogy). Il a mis plusieurs années à essayer de surmonter son chagrin.

À la fin d’un congé de convalescence en 1917, Sassoon a refusé de reprendre son service ; au contraire, encouragé par des amis pacifistes comme Bertrand Russell et Lady Ottoline Morrell, il a envoyé à son commandant une lettre intitulée “Déclaration d’un soldat”, qui a été communiquée à la presse et dont un député qui lui était favorable donna lecture au Parlement. Plutôt que de traduire Sassoon en cour martiale, les autorités militaires l’ont déclaré inapte au service et l’ont envoyé à l’hôpital militaire de Craiglockhart, près d’Édimbourg, où il a été soigné, officiellement pour neurasthénie (“shell shock”). Avant de refuser de revenir au front il a jeté le ruban de sa Military Cross dans la Mersey, mais en mai 2007, la médaille elle-même a été retrouvée à Mull, dans un grenier de la maison où son fils avait habité. La médaille a été achetée par la Royal Welch Fusiliers, pour être exposée dans son musée de Caernarfon.

Le roman Regeneration, de Pat Barker, raconte cette période de la vie de Sassoon, et on en a tourné un film avec Jonathan Pryce dans le rôle de W. H. R. Rivers, le psychiatre chargé de le soigner. Rivers est devenu pour ce jeune homme profondément choqué une sorte de père de substitution, et sa mort subite en 1922 a été un grand coup pour lui.

À Craiglockhart, Sassoon a rencontré Wilfred Owen, autre poète qui a fini par le dépasser en renommée. C’est grâce à Sassoon qu’Owen a persévéré dans ses ambitions poétiques. Une copie manuscrite de l’hymne que Wilfred Owen a dédié à la jeunesse sacrifiée (Anthem for doomed Youth) et contenant des corrections de la main de Sassoon subsiste pour témoigner de l’étendue de son influence. Quoi qu’il en soit, Sassoon est devenu pour Owen “Keats, le Christ et Élie” ; certains documents montrent clairement la profondeur de l’affection et de l’admiration qu’Owen lui portait. Les deux hommes ont combattu en France, mais Owen a été tué en 1918. Sassoon, après avoir passé un certain temps à l’abri du danger en Palestine, est retourné finalement au front et presque immédiatement a été à nouveau blessé – par un tir ami, mais cette fois à la tête – et il a passé en Grande-Bretagne le reste de la guerre. Après l’armistice, Sassoon s’est appliqué à donner aux travaux d’Owen une plus large audience. Leur amitié est le sujet de la pièce de Stephen MacDonald, Not About Heroes.

La guerre l’avait mis en contact avec des hommes appartenant à des milieux moins favorisés, ce qui avait éveillé en lui des sympathies pour le socialisme. Ayant vécu pendant une période à Oxford, où il avait passé plus de temps dans des visites à des amis friands de littérature que dans les études, il a fait brièvement de la politique dans le mouvement ouvrier et, en 1919, a pris un poste de rédacteur en chef littéraire au journal socialiste The Daily Herald. À ce poste il avait la charge de demander à des auteurs connus comme E. M. Forster et Charlotte Mew d’écrire des critiques, et il commandait des textes originaux à des gens qui pouvaient s’appeler Arnold Bennett ou Osbert Sitwell. Son intérêt artistique s’étendait à la musique. Pendant son séjour à Oxford, il était entré en relations avec le jeune William Walton, dont il était devenu l’ami et le mécène. Walton par la suite lui a dédié l’ouverture de son Portsmouth Point, en reconnaissance de son aide financière et de son appui moral.

Par la suite il a fait une tournée de conférences aux États-Unis, ainsi que des voyages en Europe et dans toute la Grande-Bretagne. Il s’est trouvé propriétaire d’une voiture, un cadeau de l’éditeur Frankie Schuster, et est devenu célèbre chez ceux qui le connaissaient pour ne pas savoir conduire, mais cela ne l’a pas empêché de profiter à fond de la mobilité qu’il avait ainsi acquise. Pendant ce temps, il a commencé à pratiquer de plus en plus ouvertement son homosexualité, entamant une liaison avec l’artiste Gabriel Atkin, qui lui avait été présenté par des amis communs. Au cours de sa tournée en Amérique, il rencontra un jeune acteur qui l’a rembarré durement. Il n’en était pas moins adoré par le public féminin, y compris à Vassar College.

Sassoon était un grand admirateur du poète gallois Henry Vaughan. Lors d’une visite au Pays de Galles en 1923, il n’a pas oublié un pèlerinage sur sa tombe à Llansanffraid, Powys, et il y a écrit un de ses poèmes les plus connus du temps de paix, Sur la tombe de Henry Vaughan. La mort de trois de ses plus proches amis, Edmund Gosse, Thomas Hardy et Frankie Schuster (l’éditeur), dans un court espace de temps, l’a atteint une nouvelle fois dans son bonheur personnel.

Dans le même temps, Sassoon s’engageait dans une nouvelle direction. Pendant son séjour en Amérique, il a essayé de se mettre au roman. En 1928, il a fait une tentative en prose, avec Memoirs of a Fox-Hunting Man, premier volume d’une autobiographie romancée qui a été publié anonymement, et qui presque immédiatement a été accueillie comme un classique et a conféré à son auteur une célébrité nouvelle comme écrivain humoristique. Le livre a remporté à la fois le James Tait Black Memorial Prize pour la fiction et le Hawthornden Prize. Sassoon l’a fait suivre des Memoirs of an Infantry Officer (1930) et Sherston’s Progress (1936). Par la suite, il a revisité sa jeunesse et le début de son âge mûr avec trois volumes d’une autobiographie sincère qui ont été eux aussi fort acclamés. Il s’agit de The Old CenturyThe Weald of Youth et Siegfried’s Journey.

Sassoon, que la guerre avait notablement mûri, a continué à rechercher un équilibre émotionnel, d’abord dans une succession d’amours masculines, notamment l’acteur Ivor Novello ; l’ancien amant de Novello, l’acteur Glen Byam Shaw ; un aristocrate allemand, le prince Philippe de Hesse ; l’écrivain Beverley Nichols ; et un aristocrate décadent, l’Honorable Stephen Tennant, qui a été le seul à laisser sur lui une impression durable, même si Shaw devait rester son ami intime tout au long de sa vie. En décembre 1933 il a surpris bien des gens en épousant Hester Gatty, d’un grand nombre d’années sa cadette, avec pour résultat la naissance d’un enfant, une chose dont il avait longtemps rêvé. Cet enfant, leur seul enfant, George (1936-2006), s’est fait par la suite connaître comme scientifique, linguiste et auteur ; Siegfried, qui l’adorait, a écrit à son intention plusieurs poèmes. Toutefois, le mariage s’est brisé après la Seconde Guerre mondiale : il semble que Sassoon n’arrivait pas à trouver un compromis entre son goût pour la solitude et son besoin de compagnie.

Séparé de sa femme en 1945, Sassoon a vécu isolé à Heytesbury dans le Wiltshire, restant en contact cependant avec un cercle qui comprenait E. M. Forster et J. R. Ackerley. Un de ses amis les plus proches était le jeune joueur de cricket Dennis Silk. Il s’est lié étroitement d’amitié avec Vivien Hancock, directrice de la Greenways School à Ashton Gifford, où son fils George suivait des cours. La relation a incité son épouse, Hester, à porter quelques accusations sérieuses contre Vivien Hancock, laquelle a répondu en le menaçant d’une action en justice. Vers la fin de sa longue vie, il s’est converti au catholicisme, dans lequel il a été admis à l’abbaye bénédictine de Downside, proche de son domicile. Il rendait également régulièrement visite aux religieuses de l’abbaye de Stanbrook, dont la presse a imprimé des éditions commémoratives de quelques-uns de ses poèmes.

Il est décédé 7 jours avant son 81ème anniversaire. Il est enterré à l’église saint André, à Mells, dans le Somerset, près de Mgr Ronald Knox, prêtre catholique, traducteur de la Bible et auteur de romans policiers, qu’il admirait.

Son seul enfant, George Sassoon, est mort d’un cancer en 2006. George avait trois enfants, dont deux ont été tués dans un accident de voiture en 1996.

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