Michel Foucault

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Paul-Michel (dit Michel) Foucault est un philosophe français né le 15 octobre 1926 à Poitiers et mort le 25 juin 1984 à Paris. Il est généralement connu pour ses critiques des institutions sociales, principalement la psychiatrie, la médecine, le système carcéral, et pour ses idées et développements sur l’histoire de la sexualité, ses théories générales concernant le pouvoir et les relations complexes entre pouvoir et connaissance.

Associé aux débuts du Centre universitaire expérimental de Vincennes, il est ensuite, de 1970 à 1984, titulaire d’une chaire au Collège de France qu’il intitule “Histoire des systèmes de pensée”. Militant politique dans les années 1970, il participe aux premiers mouvements de soutien aux travailleurs immigrés et fonde le Groupe d’information sur les prisons pour donner la parole aux prisonniers sur leurs conditions de vie.

D’abord associé au structuralisme, Foucault a produit une œuvre aujourd’hui rattachée au post-structuralisme et à la philosophie postmoderne. Figure phare de la French theory, son travail reste relativement fécond dans le monde académique notamment anglo-saxon, par-delà les spécialisations disciplinaires. The Times Higher Education Guide le décrit en 2009 comme l’auteur en sciences humaines le plus cité au monde

Il est l’une des premières personnalités à mourir du Sida en France. Son compagnon Daniel Defert a fondé l’association AIDES en son honneur.


Biographie

Premières années

Paul-Michel Foucault naît le 15 octobre 1926 à Poitiers, dans une famille bourgeoise de notables de province. Son père, Paul Foucault, est un chirurgien et professeur d’anatomie dont le père est originaire de Fontainebleau. Sa mère, Anne Malapert, fille de docteur en chirurgie poitevin, possède des terres et des fermes ainsi qu’une propriété à Vendeuvre-du-Poitou. Paul-Michel grandit auprès de Francine, une sœur de 15 mois plus âgée que lui, née en 1925, et d’un frère cadet nommé Denys né en 1933.

Son père, chirurgien éminent, nourrit de grandes espérances de voir son fils le rejoindre dans cette profession ; mais c’est son frère Denys qui deviendra chirurgien, Michel étant très rapidement attiré par l’histoire.

Il abandonne plus tard le “Paul” de son prénom, pour des raisons qui demeurent toujours inconnues. Son principal biographe, Didier Eribon, avance deux hypothèses : celle que Foucault destinait à sa mère (ses initiales, PMF, étaient celles de Pierre Mendès France) et celle qu’il avait donnée à ses amis (“il ne voulait plus porter le prénom de son père, qu’adolescent il haïssait”).

Durant sa jeunesse, son éducation est un mélange de succès et de résultats médiocres : il est très mauvais en mathématiques, tout en raflant régulièrement des prix d’excellence en français, en histoire, en grec ou en latin. Mais ses résultats chutent brusquement en classe de troisième, en 1940 : il n’avait pas supporté de n’être plus premier depuis l’arrivée des Parisiens repliés à Poitiers. Devançant son éventuel redoublement, sa mère l’inscrit alors dans le collège religieux Saint-Stanislas où bientôt il excelle – second derrière son camarade Pierre Rivière. Sa mère fait aussi jouer à plein son réseau privé et confie son fils à un jeune étudiant, Louis Girard, qui lui “ressort” “une sorte de kantisme assez vague, arrangé à la mode du XIXème siècle”. De sorte qu’à la fin de l’année, Foucault obtient le deuxième prix de philosophie.

En classe de terminale, son professeur de philosophie (le Père supérieur Dom Pierrot) le classe dans la catégorie des élèves “pour qui la philosophie serait toujours un objet de curiosité” (plutôt tournés vers Descartes), par opposition à ceux pour qui elle relèverait plutôt d’une inquiétude existentielle, vitale (davantage tournés vers Pascal). Au baccalauréat, il obtient la mention “assez bien”, avec 10/20 en philosophie. De cette époque, Foucault retiendra surtout des souvenirs liés à l’Histoire, c’est-à-dire aux évènements politiques (plus qu’à la vie familiale) ; quant à ses souvenirs de lycée, ils sont détestables : il en haïssait l’atmosphère religieuse et méprisait les cours qu’il y avait reçus.

Soutenu par sa mère qui veut lui laisser le choix de ses études, Michel Foucault tient tête à son père (car “l’idée de faire des études de médecine lui fait horreur”). En septembre 1943, il entre en classes préparatoires au lycée Henri-IV de Poitiers. Manifestant de plus en plus d’intérêt pour la philosophie (sans délester l’histoire), le jeune élève devient, en classe, le principal interlocuteur de son professeur de philosophie : “Les autres [élèves] étaient un peu perdus…” Foucault, à cette époque, est assez solitaire, “il travaillait tout le temps et se liait assez peu aux autres” : il s’accorde, selon ses propres dires, une première récréation (d’un quart d’heure) quelques semaines avant le concours. “Le concours, la compétition, en faire plus que l’autre, être le premier, quelqu’un comme moi a toujours vécu là-dedans” expliquera-t-il plus tard. Malgré cela, il manque l’épreuve écrite de l’École normale supérieure en 1945 : il est cent-unième ; seuls les cent premiers peuvent se présenter à l’oral.

Après de nouvelles démarches de sa mère, Michel Foucault quitte enfin Poitiers, ville qu’il juge étouffante, pour le lycée Henri-IV de Paris, à la rentrée 1945-1946. Sa mère ayant les moyens de lui payer une chambre en ville (l’adolescent, fragile et instable, répugne absolument à la vie en communauté), il est perçu par les internes comme un “provincial mal fagoté”, “un garçon sauvage, énigmatique, fermé sur lui-même”. Il travaille énormément, “comme un fou”. Jean Hyppolite l’éblouit, qu’il trouve fulgurant et génial : il ne cessera de proclamer sa dette à ce grand connaisseur de Hegel, à qui il succédera au Collège de France ; en 1975, il affirme même qu’il lui “doit tout”. Le professeur qui succède à Hyppolite dit du jeune Foucault qu’il “vaut beaucoup mieux que sa note — devra s’affranchir d’une tendance à l’hermétisme — c’est un esprit rigoureux”. Il lit et aime Balzac, Stendhal et Gide ; mais surtout, de plus en plus passionné par la philosophie, devenu “élève d’élite” selon son professeur, il passe — du vingt-deuxième rang à la rentrée — au premier rang avant la fin de l’année, et en histoire, du septième au premier rang.

Il est reçu, en 1946, quatrième au concours d’entrée à l’École normale supérieure de Paris.


À l’École normale supérieure de Paris (1946 à 1951)

“C’est une nouvelle vie qui commence pour lui. Une vie qu’il aura bien du mal à supporter. C’est un garçon solitaire, sauvage, dont les rapports avec les autres sont très compliqués, souvent conflictuels”. Didier Eribon dans sa biographie résume l’ambiance de ces années “parfois intolérables” selon Foucault lui-même : “Il se dispute avec tout le monde, il se fâche, il déploie tous azimuts une formidable agressivité qui s’ajoute à une tendance assez marquée pour la mégalomanie. Foucault aime à mettre en scène le génie dont il se sait porteur. Si bien que, très vite, il est presque unanimement détesté. Il passe pour être à moitié fou”.

Sa vie quotidienne à l’École normale est difficile et mouvementée ; il souffre de dépression grave. Un jour, l’un des enseignants le retrouve étendu dans une salle, la poitrine lacérée à coups de rasoir. Une autre fois, il poursuit un condisciple avec un poignard à la main. Louis Althusser dira même que Michel Foucault et lui ont toute leur vie côtoyé la folie, mais que le second seul était parvenu un jour à se “sentir guéri”. En 1948, suite à cette première tentative de suicide au rasoir, Foucault se retrouve à l’hôpital Sainte-Anne où il rencontre le Dr Gaillot, psychiatre : rentré à Ulm, il dispose désormais d’une chambre pour lui tout seul, à l’infirmerie. Selon son médecin, l’obsession suicidaire venait de ce qu’il vivait extrêmement mal son homosexualité. Si bien qu’il pouvait répondre, à un ami qui lui demandait où il allait : “Je vais au BHV, acheter une corde pour me pendre”. Quand il rentrait de ses fréquentes sorties dans les bars gays, il restait prostré pendant des heures, anéanti par la honte. Aussi l’un de ses anciens condisciples de l’École pourra avouer, plus tard, que “quand l’Histoire de la folie à l’âge classique est sortie, tous ceux qui le connaissaient ont bien vu que c’était lié à son histoire personnelle”. Quant à Foucault lui-même, il confessera que “c’est tout de même un problème impressionnant quand on le découvre pour soi-même [qu’on est homosexuel]. Très vite, ça s’est transformé en une espèce de menace psychiatrique : si tu n’es pas comme tout le monde, c’est que tu es anormal, si tu es anormal, c’est que tu es malade”.

Parallèlement, Foucault est un immense travailleur. Il choisit de préparer l’agrégation de philosophie en quatre ans au lieu des trois prévus généralement pour les normaliens. Il fiche tous les livres qu’il a lu et les range dans des boîtes, déniche même des notes d’un cours de Bergson, lit tous les philosophes classiques (Platon, Kant, etc.) mais aussi Hegel et Bachelard, Marx et Freud, ainsi que Martin Heidegger dont la lecture essentielle le pousse ensuite à découvrir Friedrich Nietzsche. En littérature, il découvre Kafka, Faulkner et Jean Genet. Il développe à la même période une véritable fascination pour la psychologie (au point d’envisager, un temps, de poursuivre finalement des études de médecine), et lit très attentivement la Critique des fondements de la psychologie de Politzer. Ainsi, après avoir obtenu en 1948 sa licence de philosophie à la Sorbonne (où il ne met presque jamais les pieds), il obtient en 1949 une licence de psychologie, dont la chaire venait tout juste d’être créée. Il suit alors les cours de Daniel Lagache et participe très vite à la branche clinique de cette discipline où il est amené à côtoyer différentes personnalités, dont – par le biais d’une amie de sa mère – Ludwig Binswanger. Il fait même passer le test de Rorschach (chacun doit dire ce qu’il voit dans différentes taches d’encre) à de nombreux condisciples, afin de “savoir, dit-il, ce qu’ils ont dans la tête”.

Il est très assidu au cours de Maurice Merleau-Ponty sur le langage et surtout sur les sciences humaines – cours qui le marquera profondément. Mais surtout, Michel Foucault côtoie Louis Althusser avec qui il devient vite ami. Dès son entrée à Ulm en 1947 Foucault avait voulu, comme de très nombreux normaliens à l’époque, s’inscrire au PCF ; mais on l’avait refusé parce qu’il ne voulait pas militer au syndicat des élèves. Ce n’est donc qu’en 1950, et sous l’influence d’Althusser, qu’il s’y inscrit pour de bon : mais à l’inverse de la plupart des membres du Parti, jamais il ne participe très activement à sa cellule, et il quitte très vite le Parti, dès 1953, sur la base des informations qui commençaient alors à filtrer sur la situation réelle en Union soviétique et notamment au Goulag, sous la dictature de Staline.

C’est aussi en 1950 que Michel Foucault échoue une première fois à l’agrégation. Reçu vingt-neuvième à l’écrit, il doit faire à l’oral une leçon sur l’hypothèse : il parle beaucoup du Parménide, ne dit pas un mot de Claude Bernard et ne parle pas de la science ; le jury lui reproche de s’être préoccupé “beaucoup plus de faire montre d’érudition que de traiter le sujet proposé”. Considéré par ses condisciples comme l’un des plus brillants d’entre eux, cet échec fait scandale ; Althusser charge Jean Laplanche de surveiller Foucault. Seconde tentative de suicide. La crise est bien plus terrible que lors de son échec au concours de l’ENS, mais elle est courte ; il se remet vite au travail. En 1951, il est reçu troisième. Bien que le cacique soit venu s’excuser personnellement de l’avoir devancé, considérant qu’il s’agissait là d’une injustice, Foucault est furieux et va se plaindre auprès de Georges Canguilhem : “Quelle idée vraiment, lui dit-il en substance, d’interroger les agrégatifs sur la sexualité !”


Années 1950

Début de carrière

Entre 1951 et 1955, et à la demande de Louis Althusser, Michel Foucault enseigne la psychologie à l’École normale supérieure ; son éloquence le rend assez célèbre à Ulm : Paul Veyne et Jacques Derrida sont impressionnés. Foucault, en vertu de la tradition, emmène ses élèves assister à l’interrogation et l’examen d’un malade par Daumézon.

En 1952, Foucault obtient son diplôme de psychologie pathologique. Il traduit aussi cette année-là Le Rêve et l’existence de Ludwig Binswanger, qu’il fera publier en 1954 avec une préface plus longue que le livre lui-même. L’analyse existentielle de ce psychiatre original lui permet, dira-t-il plus tard, de mieux comprendre l’oppression du savoir psychiatrique académique.

C’est à cette époque qu’il est psychologue stagiaire à l’hôpital Sainte-Anne, non sans en ressentir un certain “malaise”, qu’il ne comprendra qu’au moment d’écrire son Histoire de la folie. Deux ans plus tôt, entre 1950 et 1952, il avait aussi travaillé sur le terrain de la psychologie expérimentale à la prison de Fresnes, où il se rendait une fois par semaine pour faire passer des examens légers aux prisonniers. En 1954, il fait également un stage à la clinique dirigée par Roland Kuhn à Münsterlingen en Suisse où il s’initie à la psychiatrie phénoménologique.

Dans le même temps, tout en occupant un poste de répétiteur à l’École normale supérieure, Foucault accepte un poste d’assistant à l’Université de Lille, où de 1953 à 1954 il enseigne aussi la psychologie. C’est à cette époque qu’il se lie avec le compositeur Jean Barraqué. En 1954 Foucault publie son premier livre, Maladie mentale et personnalité, un travail commandé par Louis Althusser et qu’il désavouera par la suite.


Suède, Pologne et Allemagne (1955 à 1960)

Il lui devient rapidement apparent qu’il n’est pas intéressé par une carrière d’enseignant, et il entreprend alors un long exil hors de France. La même année, il accepte donc un poste à l’Université d’Uppsala en Suède en tant que conseiller culturel, position qui est arrangée pour lui par Georges Dumézil ; celui-ci devient par la suite un ami et mentor.

En 1958, Foucault rentre à Paris pour suivre les événements de la Crise de mai 1958. C’est en octobre 1958 qu’il quitte la Suède pour Varsovie. Il y est chargé de l’ouverture du Centre de civilisation française qui doit compenser la fermeture de l’Institut français de Varsovie quelques années plus tôt. Il donne des conférences à l’université et à l’institut des langues romanes. En 1959, il finit par être inquiété par la police de Gomułka qui s’alarme de ses travaux et fréquentations, et qui exige son départ. Début 1959, il s’installe à Hambourg en Allemagne de l’Ouest. Il occupe le poste de directeur à l’Institut français de Hambourg. Il donne des cours de littérature française à la faculté de philosophie de l’université et il poursuit sa thèse.


Années 1960

1960-1961 : Histoire de la folie à l’âge classique

Foucault retourne en France en 1960 pour finir sa thèse et occuper un poste de philosophie à l’université de Clermont-Ferrand, à l’invitation de Jules Vuillemin, directeur du département de philosophie ; les deux hommes se lient d’une amitié durable. Il a pour collègue Michel Serres. C’est là aussi que Foucault rencontre Daniel Defert, qui reste son compagnon jusqu’à la fin de ses jours.

En 1961, installé dans le 15ème arrondissement de Paris, il obtient son doctorat en soutenant deux thèses (comme il était de coutume à l’époque), l’une dite “thèse complémentaire” est constituée de sa “traduction, introduction et notes” de l’Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant, dont le rapporteur est Jean Hyppolite, l’autre dite “thèse principale” et intitulée Folie et déraison : histoire de la folie à l’âge classique, dont les rapporteurs sont Georges Canguilhem et Daniel Lagache. Folie et déraison est très bien accueilli. Il publie en 1962 une réédition de son livre de 1954 (sous un nouveau titre, Maladie mentale et psychologie), qu’il désavouera à nouveau par la suite


1963 : Naissance de la clinique et Raymond Roussel

Foucault s’intéresse à l’épistémologie de la médecine et publie en 1963 Naissance de la clinique : une archéologie du regard médical et Raymond Roussel.

Au début de cette année il entre avec Roland Barthes et Michel Deguy au premier “conseil de rédaction” de la revue Critique auprès de Jean Piel qui reprend la direction de la revue après la mort de Georges Bataille.

Suite à l’affectation de Defert en Tunisie pour la durée de son service militaire, Foucault s’y installe lui aussi et prend un poste à l’Université de Tunis en 1965. En janvier, il est nommé à la Commission de réforme des universités mise en place par le ministre de l’éducation de l’époque, Christian Fouchet, et l’on parle alors d’une possible nomination au poste de sous-directeur des enseignements supérieurs. Il semble cependant qu’une enquête menée sur sa vie privée par certains universitaires soit à l’origine de sa non-nomination.


1966 : Les Mots et les choses

En février 1966, Foucault participe, avec Gilles Deleuze, à la publication de l’édition française des œuvres complètes de Friedrich Nietzsche chez Gallimard. La même année, il publie Les Mots et les Choses, ouvrage dans lequel, faisant écho à Nietzsche et à son concept de mort de Dieu, Foucault théorise la “mort de l’homme”, qui connaît immédiatement un immense succès. À l’époque, l’engouement pour le structuralisme est à son comble, et Foucault se retrouve très rapidement rattaché à des chercheurs et philosophes tels que Jacques Derrida, Claude Lévi-Strauss et Roland Barthes, alors perçus comme la nouvelle vague de penseurs prêts à renverser l’existentialisme et l’intellectuel total incarné par Jean-Paul Sartre. Sa présence est attestée au Séminaire hebdomadaire que Lacan tient à l’École normale supérieure, notamment en 1966-1967 où celui-ci donne sa propre lecture des Ménines de Velasquez, après avoir invité son auditoire à lire Les Mots et les Choses qui vient de paraître. Nombre des débats, échanges et interviews impliquant Foucault se font alors les échos de l’opposition entre l’humanisme, et de son affranchissement par l’étude des systèmes et de leurs structures. Cependant, Foucault se lasse de l’étiquette “structuraliste”.


1968-1969 : L’Archéologie du savoir

L’année 1966 est celle d’une grande effervescence au sein des sciences humaines : Lacan, Lévi-Strauss, Benveniste, Genette, Greimas, Doubrovsky, Todorov et Barthes publient certains de leurs ouvrages les plus importants.

Foucault se trouve toujours à Tunis pendant les évènements de mai 1968, où il est très profondément ému par la révolte des étudiants tunisiens, la même année. En automne de la même année, il revient en France et publie L’Archéologie du savoir, une réponse à ses critiques, en 1969.

Il se dit pourtant déconcerté par le “déchaînement de théories, de discussions, d’anathèmes, de groupuscularisation” de la période. C’est surtout à partir de 1969 qu’il se politise.

Début 1969, Foucault enseigne quelques mois au Centre universitaire de Vincennes.


Années 1970

Cours au Collège de France

En novembre 1969, Michel Foucault est élu au Collège de France, prestigieuse institution française d’enseignement et de recherche, comme professeur de la chaire d’Histoire des systèmes de pensée, un titre choisi par lui ; sa candidature était soutenue par Jules Vuillemin. L’Ordre du discours, qui paraît en 1971, constitue sa leçon inaugurale.


Le militant

En 1971, au mois de novembre, Foucault réalise un débat avec l’intellectuel américain Noam Chomsky à l’École supérieure de technologie d’Eindhoven aux Pays-Bas.

Son engagement politique s’accroît alors, Daniel Defert se joignant à la Gauche prolétarienne, mouvement maoïste non léniniste, devenu clandestin. C’est à la suite d’une grève de la faim de certains de ses militants (pour obtenir le statut de prisonniers politiques) que Foucault fonde le Groupe d’information sur les prisons (GIP) pour permettre aux prisonniers de s’exprimer sur les conditions de leur incarcération (des militants ont fait entrer des questionnaires clandestinement dans les prisons). En juillet 1970, après de multiples publications et investigations du GIP, la presse quotidienne et les radios sont autorisées dans les prisons. En novembre 1972, il met sur pied le Comité d’action des prisonniers (CAP) avec Serge Livrozet qui sort de prison et dont il préfacera l’essai De la prison à la révolte. Il participe aussi, de même que Jean-Paul Sartre, aux premières manifestations en soutien des travailleurs immigrés.


1975 : Surveiller et punir

La réflexion de Foucault attachée à cette expérience se retrouve alors dans son livre Surveiller et punir, qui paraît en 1975. C’est une étude des structures des micro-pouvoirs qui se développèrent dans les sociétés occidentales au XVIIIème siècle, avec un regard approfondi sur les prisons et les écoles.

Sa participation au débat au sujet de la loi de la pudeur est un autre temps fort de son militantisme politique. En 1977, lorsqu’une commission du Parlement français discute de la réforme du Code pénal français, il signe une pétition, avec Jacques Derrida et Louis Althusser, parmi beaucoup d’autres, demandant l’abrogation de certains des articles de la loi sur la majorité sexuelle afin de dépénaliser les relations consenties entre adultes et mineurs de moins de quinze ans (l’âge du consentement en France).

Il estime alors que le système pénal est en train de remplacer la punition d’actes criminels par la création d’une figure d’individus dangereux pour la société (sans se soucier d’un délit réel) et prédit qu’une “société de dangers” adviendra, lorsque la sexualité deviendra une sorte de “danger errant”, une “illusion”. Il souligne que cela deviendrait possible grâce à l’établissement d’un “nouveau pouvoir médical”, intéressé par les profits provenant du traitement de cet “individu dangereux”.


Évolution

Au milieu comme à la fin des années 1970, bien qu’il soit né à Poitiers et que sa famille soit issue du département de la Vienne, son nom est “inconnu de très nombreux Poitevins”, mais célèbre tant en France qu’à l’étranger, en particulier à l’université et dans les milieux militants. De 1970 à avril 1984, il poursuit ses cours au Collège de France, poste le plus prestigieux de l’Université française, y étudiant les principes de gouvernementalité, et la biopolitique (cours 1978 et 1979), puis à partir de 1983 sur Le Gouvernement de soi et des autres, sur la parrhèsia.

Le militantisme politique à gauche de Foucault recule, désillusion qui sera également grandissante parmi d’autres intellectuels ; un petit groupe, vite baptisé les “Nouveaux philosophes” (Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, etc.), s’éloigne de la gauche et adopte des positions de plus en plus néo-conservatrices, et citant bien souvent Foucault comme ayant été l’une de leurs sources d’influence majeures (sans doute en raison d’un anti-totalitarisme commun).


1976 : Histoire de la sexualité

Foucault passe alors de plus en plus de temps aux États-Unis, à l’université SUNY de Buffalo (New York) (où il avait donné une conférence lors de sa première visite aux États-Unis en 1970), et également à l’université de Californie à Berkeley où les étudiants assistent en très grand nombre à ses conférences.

C’est durant cette période que Foucault se met à l’écriture d’un projet d’Histoire de la sexualité dont il publiera trois volumes, au lieu des six initialement prévus. Le premier volume de cette étude, La Volonté de savoir, paraît en 1976. Les deuxième et troisième volumes, L’Usage des plaisirs et Le Souci de soi ne parurent que huit ans plus tard (en 1984).

Le quatrième volume, Les Aveux de la chair est paru en 2018.


Foucault et la révolution iranienne

Fin 1978, il se rend à Téhéran après le massacre de la place Jaleh, dans le cadre d’un reportage pour le Corriere della Sera, qui initie une série de reportages effectués par des intellectuels. À son retour, il a consacré à la Révolution iranienne plusieurs articles enthousiastes qui ont déclenché une vive polémique. Certains l’accuseront, en manipulant ses phrases, de soutenir l’Ayatollah Khomeiny. Pourtant, il distingue la “spiritualité politique” des insurgés du “gouvernement sanglant d’un clergé intégriste” et refuse surtout de penser cette révolution, qu’il préfère appeler “insurrection”, à l’aune de son résultat :

“Les religieux iraniens veulent authentifier leur régime par les significations qu’avait le soulèvement. On ne fait pas autre chose qu’eux en disqualifiant le soulèvement parce qu’il y a aujourd’hui un gouvernement de mollahs”.

Cependant, et malgré des réserves, Foucault s’avoue impressionné par les objectifs du nouveau régime:

“Je me sens embarrassé pour parler du gouvernement islamique comme idée ou même comme idéal. Mais comme volonté politique, il m’a impressionné. Il m’a impressionné dans son effort pour politiser, en réponse à des problèmes actuels, des structures indissociablement sociales et religieuses ; il m’a impressionné dans sa tentative aussi pour ouvrir dans la politique une dimension spirituelle”.

Plus tôt dans l’année, il a voyagé au Japon pour la seconde fois, exprimant un intérêt pour “les limites de la rationalité occidentale” (à noter qu’il ajoute “Question qu’il est inévitable de poser parce que le Japon n’est pas en opposition à la rationalité occidentale”).


Dernières années (1980 à 1984)

Au tournant des années 1980, à la recherche d’une alternative aux idéologies socialistes, Foucault se rapproche de la deuxième gauche française et de la CFDT. Les contacts qu’il noue, les interventions qu’il fera dans ce cadre, voire certains de ses cours au collège de France, mènent certains auteurs à y déceler un rapprochement de Foucault avec le néolibéralisme. Foucault aurait ainsi vu dans le corpus intellectuel néolibéral des éléments pour une forme de gouvernementalité moins normative et étatiste que celle de la gauche socialiste et communiste.

Les deuxième et troisième volumes de l’Histoire de la sexualitéL’Usage des plaisirs et Le Souci de soi paraissent en 1984. Ils surprennent les lecteurs par leur sujet (les textes classiques latin et grec) et leur approche, en particulier l’attention que Foucault porte au sujet, concept qu’il avait jusqu’alors négligé. Le dernier tome de cette histoire de la sexualité, Les Aveux de la chair, dont Foucault avait retardé la publication en 1984, est publié en 2018 par Frédéric Gros.

Michel Foucault est hospitalisé à Paris début juin 1984, et meurt le 25, d’une maladie opportuniste liée au sida. Ce sont d’ailleurs les mensonges et les malentendus autour de sa mort qui ont poussé Daniel Defert à créer Aides, la première association française de lutte contre le sida. Dans son livre À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Hervé Guibert, un des amis de Michel Foucault (surnommé “Muzil” dans l’ouvrage), évoquera sa maladie, sa mort et son refus de publications posthumes. La mort du philosophe et son enterrement sont évoqués dans une nouvelle de Guibert intitulée Les secrets d’un homme dans son recueil Mauve le Vierge.


Philosophie

La critique du sujet

Ses études de l’expression du discours en relation avec l’histoire de la pensée occidentale ont été très largement discutées, à l’image de “la mort de l’homme” annoncée dans Les Mots et les Choses, ou de l’idée de subjectivation, réactivée dans Le Souci de soi d’une manière toujours problématique pour la philosophie classique du sujet.

Son travail de philosophe est indissociable de ses prises de position sur l’actualité, et d’une problématisation permanente des identités collectives et des dynamiques politiques de mouvement – en particulier à partir du mouvement LGBT. Il semble alors que, plus qu’à une “identité” par définition statique et objectivée, Foucault s’intéresse aux “modes de vie” et aux processus de subjectivation.

Sur le thème de la subjectivité (et plusieurs autres), les deux philosophes qui ont le plus influencé Foucault sont Nietzsche et Heidegger.


Affiliations et désaffiliations philosophiques

Si son œuvre est souvent qualifiée de post-moderniste ou post-structuraliste par les commentateurs et critiques contemporains, il fut lui-même plus souvent associé au mouvement structuraliste, surtout dans les années qui suivirent la publication de Les Mots et les Choses : bien qu’il ait initialement accepté cette affiliation, il marqua par la suite sa distance vis-à-vis de l’approche structuraliste, expliquant qu’à l’inverse de celle-ci, il n’avait pas adopté une approche formaliste. Il n’acceptait pas non plus de voir l’étiquette post-moderniste appliquée à ses travaux, déclarant qu’il préférait plutôt discuter de la manière de définir la “modernité” elle-même. Son affiliation intellectuelle peut être rattachée à sa manière de définir les fonctions de l’intellectuel : non pas garant de certaines valeurs, mais préoccupé à voir et dire, suivant un modèle intuitif de réaction à “l’intolérable”.


L’auteur

La question de l’auteur est l’une des questions importantes de l’entreprise généalogique de Foucault. Il le remarque dès 1971 dans L’ordre du discours :

“[…] dans l’ordre du discours scientifique, l’attribution à un auteur était, au Moyen-Âge, indispensable, car c’était un index de vérité. Une proposition était considérée comme détenant de son auteur même sa valeur scientifique. Depuis le XVIIème siècle, cette fonction n’a cessé de s’effacer, dans le discours scientifique : il ne fonctionne plus guère que pour donner un nom à un théorème, à un effet, à un exemple, à un syndrome. En revanche, dans l’ordre du discours littéraire, et à partir de la même époque, la fonction de l’auteur n’a pas cessé de se renforcer : tous ces récits, tous ces poèmes, tous ces drames ou comédies qu’on laissait circuler au Moyen-Âge dans un anonymat au moins relatif, voilà que, maintenant, on leur demande (et on exige d’eux qu’ils disent) d’où ils viennent, qui les a écrits ; on demande que l’auteur rende compte de l’unité du texte qu’on met sous son nom ; on lui demande de révéler, ou du moins de porter par devers lui, le sens caché qui les traverse ; on lui demande de les articuler, sur sa vie personnelle et sur ses expériences vécues, sur l’histoire réelle qui les a vues naître”.

— L’ordre du discours, pp. 29-30

Cette question de l’auteur, dont la prééminence à notre époque est inanalysée selon Foucault, n’est pas sans conséquences sur les études des textes et sur les entreprises biographiques. Comment dans ces conditions justifier une biographie de Michel Foucault lui-même ? Il a ainsi été objecté à ses biographes, notamment à Didier Eribon qui en témoigne, qu’écrire une biographie de Michel Foucault était une entreprise ambiguë, Foucault ayant toujours “résisté à l’expérience biographique”. Deux raisons principales motivent cette méfiance.

— D’une part, la notion d’auteur, et le mythe qui accompagne cette figure, paraissait suspecte à Foucault, d’autant que la signification de cet intérêt pour l’auteur s’est transformée au fil du temps. Il le disait dans Surveiller et punir :

“Pendant longtemps l’individualité quelconque – celle de tout le monde – est demeurée au-dessous du seuil de description. Être regardé, observé, raconté dans le détail, suivi au jour le jour par une écriture ininterrompue, était un privilège. La chronique d’un homme, le récit de sa vie, son historiographie, racontée au fil de son existence faisait partie des rituels de sa puissance. Or les procédés disciplinaires retournent le rapport, abaissent le seuil de l’individualité descriptible et font de cette description un moyen de contrôle et une méthode de domination. […] L’enfant, le malade, le fou, le condamné deviendront, de plus en plus facilement à partir du XVIIIème siècle et selon une pente qui est celle des mécanismes de discipline, l’objet de descriptions individuelles et de récits biographiques. Cette mise en écriture des existences réelles n’est plus une procédure d’héroïsation ; elle fonctionne comme procédure d’objectivation et d’assujettissement”.

— Surveiller et punir, pp. 193-194

Pour ces raisons, Michel Foucault préférait donc l’écriture “anonyme”, et affirmait que l’essentiel de ses ouvrages résidait dans une voix anonyme – la période historique, la société – plus que dans la pensée d’une personne singulière et éminente.

— D’autre part, la biographie tend à figer une vie en un destin, et à inscrire en creux dans le passé de l’individu tout son avenir. Insistant sur le fait que sa personnalité ne pouvait que se transformer, devenir autre et sur l’importance de se “déprendre de soi-même”.

Aussi, dans son testament, rédigé deux années avant sa mort, il note : “Pas de publication posthume”. Didier Eribon, soutient qu’écrire “Pas de publication posthume”, est donc cohérent avec ses analyses sur la notion d’auteur, dans lesquelles il montre comment la fonction-auteur est apparue et s’est imposée comme figure nécessaire. Foucault a insisté également, à de nombreuses reprises, sur le fait que tous ses livres étaient liés à ses expériences personnelles, et qu’on pouvait les lire comme autant de “fragments d’autobiographie”. Son œuvre se serait développée dans un rapport étroit à sa vie, et aura été, pour une bonne part, un travail de réflexion sur soi et de transformation de soi. Mais son projet, si autobiographique soit-il, n’autorise pas pour autant toute entreprise biographique, au nom de la “vérité”. René de Ceccatty pose la question : “Y a-t-il un regard sur sa vie qui puisse prétendre à une quelconque vérité ?”. “Eh bien non, répond-il, parce que la quête de la vérité est, elle-même, intégrée à un système de pensée, et tout particulièrement la quête de vérité biographique, quel que soit l’individu en question”.

Ainsi, David Halperin, critiquant les diverses biographies de Michel Foucault, en particulier celle, américaine, de James Miller, le note : “La vie de Foucault lui-même fut éminemment descriptible”. Plus précisément, on a pu la décrire, selon les besoins du moments, comme celle d’un fou (il avait flirté avec le suicide dans sa jeunesse), d’un extrémiste politique de gauche (il a adhéré au parti communiste dans les années 50 et a été maoïste à la fin des années 1960 et surtout au début des années 1970) ou d’un pervers sexuel (il était gay et sado-masochiste). Ainsi David Halperin, parlant du livre de James Miller sur Foucault, a conclu violemment par une déclaration de guerre totale : “Ce que le livre de James Miller met donc particulièrement en évidence, c’est la raison pour laquelle nous qui nous trouvons dans la situation assiégée de Foucault, ou qui partageons sa vision politique, en entendant ceux qui ne sont pas dans cette situation, ou qui ne partagent pas cette vision, invoquer l’idée de vérité, nous sortons nos révolvers”.


L’institution disciplinaire

Michel Foucault est connu pour avoir mis en lumière certaines pratiques et techniques de la société par ses institutions à l’égard des individus. Il note la grande similitude dans les modes de traitements accordés ou infligés à de grands groupes d’individus qui constituent les frontières du groupe social : les fous, les condamnés, certains groupes d’étrangers, les soldats et les enfants. Il considère que finalement, ils ont en commun d’être regardés avec méfiance et exclus, par un enfermement en règle dans des structures fermées, spécialisées, construites et organisées sur des modèles similaires (asiles, prisons, casernes, écoles) inspirés du modèle monacal, ce qu’il a appelé “institution disciplinaire”.

Michel Foucault s’est efforcé, dans la grande majorité de ses travaux, de se limiter :

  • à des problèmes concrets (la folie, l’emprisonnement, la clinique…) ;
  • dans un cadre géographique très déterminé (la France, l’Europe, voire l’Occident) ;
  • à des cadres historiques précis (l’âge classique, la fin du XVIIIème siècle, l’Antiquité grecque, etc.).

Pourtant, ses observations permettent de dégager des concepts excédant ces limites dans le temps et dans l’espace. Elles conservent ainsi une grande actualité, c’est pourquoi beaucoup d’intellectuels – dans une grande diversité de domaines – peuvent se réclamer de Foucault aujourd’hui. C’est par exemple en étudiant la mutation des techniques pénales à la fin du XVIIIème siècle qu’il peut analyser l’émergence d’une nouvelle forme de subjectivité constituée par le pouvoir : ce que l’on observe dans les marges se construit au centre. De la même façon, c’est en étudiant les mutations des disciplines scientifiques à la fin du XVIIIème siècle qu’il dégage la constitution de la notion d’“homme”.

En ceci, quoiqu’il se revendiquât essentiellement historien, pour la rigueur et la scientificité de cette discipline, il est indéniablement philosophe dans la mesure où les enquêtes qu’il mène sont l’occasion de dégager des concepts dont la portée dépasse les circonstances très précises qu’il a étudiées, comme c’est le cas pour l’approche de la folie.


L’hypothèse du biopouvoir

Ce regard historique ne doit pas méprendre. L’ontologie foucaldienne est une expérience, une prudence, un exercice sur les butées de notre présent, l’expérimentation de nos limites, la forme patiente de “notre impatience à la liberté”, qui explique l’intérêt qu’il portait au thème du rapport de pouvoir entre l’institutionnel et l’individu – aussi bien qu’à une certaine idée de la subjectivation. Ce pouvoir fonde la constitution de savoirs et est à son tour fondé par eux : c’est la notion de “savoir–pouvoir”.

“Il n’y a pas de relations de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir… Ces rapports de « pouvoir-savoir » ne sont donc pas à analyser à partir d’un sujet de connaissance qui serait libre ou non par rapport au système de pouvoir ; mais il faut considérer au contraire que le sujet qui connaît, les objets à connaître et les modalités de connaissance sont autant d’effets de ces implications fondamentales du pouvoir–savoir et de leurs transformations historiques. En bref, ce n’est pas l’activité du sujet de connaissance qui produirait un savoir, utile ou rétif au pouvoir, mais le pouvoir-savoir, les processus et les luttes qui le traversent et dont il est constitué, qui déterminent les formes et les domaines possibles de la connaissance”.

— Il faut défendre la société

Dans cette ontologie tout à la fois généalogique, critique et archéologique, les travaux consacrés à des problèmes très concrets sont indissociables de ceux qui portent sur les “formations discursives” (Les Mots et les ChosesL’Archéologie du savoir et L’Ordre du discours), tout comme le sens du racisme, au-delà de ses significations particularisées, est indissociable de l’avènement des sciences humaines, – ce que nous apprend Il faut défendre la société (1975-1976).

L’adage de L’Ordre du discours – “Remettre en question notre volonté de vérité ; restituer au discours son caractère d’événement ; lever enfin la souveraineté du signifiant” – vaut ainsi comme un avertissement contre les écueils psychologisants de la problématisation bi-face du rapport à soi et du rapport au présent. Problématisation qui n’est pas à la poursuite des essences ou des origines, mais “des foyers d’unification, des nœuds de totalisation, des processus de subjectivation, toujours relatifs”, selon la formule de Gilles Deleuze dont Foucault a été, intellectuellement aussi bien que personnellement, proche.

Dans la seconde moitié des années 1970, il s’est ainsi intéressé à ce qui lui semblait une nouvelle forme d’exercice du pouvoir (sur la vie), qu’il a appelé “biopouvoir” (concept repris et développé depuis par François Ewald, Giorgio Agamben, Judith Revel et Toni Negri, notamment), indiquant le moment où, autour du XVIIIème siècle, la vie – non seulement biologique mais entendue comme l’existence tout entière : celle des individus comme celle des populations, la sexualité comme les affects, l’alimentation comme la santé, les loisirs comme la productivité économique – entre comme telle dans les mécanismes du pouvoir et devient ainsi un enjeu essentiel pour la politique :

“L’homme, pendant des millénaires, est resté ce qu’il était pour Aristote : un animal vivant, et de plus capable d’une existence politique ; l’homme moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d’être vivant est en question”.

— La volonté de savoir

Le souci de soi

Au début de l’année 1980, dans son cours au Collège de France Du Gouvernement des vivants, Foucault dégage un nouvel axe de recherche : les actes que le sujet peut et doit librement opérer sur lui-même pour accéder à la vérité. Ce nouvel axe, irréductible au domaine du savoir et au domaine du pouvoir, est appelé “régime de vérité” et permet d’isoler la part libre et réfléchie prise par le sujet dans son activité propre. Les exercices ascétiques chrétiens fournissent le premier terrain d’exploration de ces régimes, dans leur différence avec les exercices ascétiques gréco-romains. Jusqu’à sa mort, Foucault n’aura alors de cesse d’articuler ensemble, sans les confondre, ces trois domaines : celui du savoir, celui du pouvoir, celui du sujet.

Certains interprètes ajoutent à ces trois axes l’axe de la vie. C’est peut-être dans son hommage à Georges Canguilhem (“La vie : l’expérience et la science”, le dernier texte auquel il a donné son imprimatur) que l’on perçoit le mieux son intérêt pour ce problème de la vie et son rapport à la vérité : Canguilhem, comme le souligne Foucault, a en effet mis en avant notre humaine capacité (cas d’espèce ! dirait encore Nietzsche) à former des concepts, quelles que soient les errances et déviations de la vie, qui sont sa vocation. Malgré la proximité évidente avec Georges Canguilhem, on ne trouve pas cependant, à proprement parler, de “philosophie de la vie” chez Foucault.

Son travail, du point de vue de l’ensemble, se présente comme une immense histoire des limites tracées à l’intérieur de la société, et qui définissent les seuils à partir desquels on est fou, malade, criminel, déviant. Les clivages internes de la société ont une histoire, faite de la lente formation, sans cesse remise en cause, de ces limites. De part et d’autre de ces domaines d’exclusion et d’inclusion se constituent des “formes de subjectivité” différentes, et le sujet est donc une concrétion politique et historique, et pas typiquement une substance libre comme le voudrait la tradition et le sens commun : je ne me perçois moi-même que selon les critères formés par l’histoire. Le pouvoir n’est pas une autorité s’exerçant sur des sujets de droit, mais avant tout une puissance immanente à la société, qui s’exprime dans la production de normes et de valeurs.

Le problème politique décisif n’est donc plus la souveraineté, mais ces micropouvoirs qui investissent le corps, et qui, silencieusement, inventent les formes de la domination, mais peuvent tout aussi bien donner l’occasion de nouvelles possibilités de vie. “Il n’y a de relation de pouvoir qu’entre des sujets libres” se plaisait-il à dire. Ainsi, l’utilité chez Foucault, dans son rapport réciproque à la docilité, ouvre un domaine très large de considérations, au-delà de l’utilitarisme, du côté de l’industrie, du travail, de la productivité, de la créativité, de l’autonomie, du gouvernement de soi.

“Le problème à la fois politique, éthique, social et philosophique qui se pose à nous aujourd’hui n’est pas d’essayer de libérer l’individu de l’État et de ses institutions, mais de nous libérer, nous, de l’État et du type d’individualisation qui s’y rattache. Il nous faut promouvoir de nouvelles formes de subjectivité”.

— Le Sujet et le Pouvoir

Récusant dans La volonté de savoir l’hypothèse répressive pour expliquer les variations des comportements et des conduites dans le domaine de la sexualité, sceptique quant à la portée réelle de la libération sexuelle, mais cependant attiré par les États-Unis (séjours à Berkeley) et découvrant là-bas des formes relationnelles inédites, il a, dans ses derniers entretiens, en relation à son Histoire de la sexualité, discuté de l’homosexualité (plus rarement de la sienne) et plus généralement des relations affectives, établissant par exemple et pour son compte, une distinction entre amour et passion qu’il n’aura pas eu le temps d’expliciter plus avant. Le problème du désir et le thème de la maîtrise sont au cœur de la question de la subjectivité développée alors par ce que certains s’autorisent à nommer le “second” Foucault, celui du “souci de soi” (1984), émancipé du régime disciplinaire.

“Il n’est pas suffisant de tolérer à l’intérieur d’un mode de vie plus général la possibilité de faire l’amour avec quelqu’un du même sexe. Le fait de faire l’amour avec quelqu’un du même sexe peut tout naturellement entraîner toute une série de choix, toute une série d’autres valeurs et de choix pour lesquels il n’y a pas encore de possibilités réelles. Il ne s’agit pas seulement d’intégrer cette petite pratique bizarroïde qui consiste à faire l’amour avec quelqu’un du même sexe dans des champs culturels préexistants ; il s’agit de créer des formes culturelles”.

— Le triomphe social du plaisir sexuel

Idées

Michel Foucault s’est successivement intéressé au savoir, puis au pouvoir, et enfin au sujet.

  • Émergence du concept de population au cours des XVIIIème et XIXème siècles. La population devient au XVIIIème siècle un objet d’études, menant à la naissance de l’économie politique.
  • Passage de la loi à la norme. D’une société (d’Ancien régime) centrée sur la loi on est passé à une société gestionnaire centrée sur la norme. C’est l’une des conséquences de la vaste révolution libérale.
  • Concept de micro-pouvoirs produisant des discours permettant de contrôler qui est ou non dans la norme.
  • Concept de biopouvoir : au pouvoir qui donne la mort et laisse vivre s’est substitué le biopouvoir qui fait vivre et laisse mourir (État-providence : sécurité sociale, assurances, etc.).
  • Figure du panoptique (projet architectural de prison inventé par Bentham et conçu pour que les prisonniers puissent tous être vus depuis une tour centrale) comme paradigme de ce vers quoi tend notre société, ou ce qu’elle n’est déjà plus tout à fait (voir le concept deleuzien de “société de contrôle”, en discussion avec les travaux de Foucault).
  • Les relations de pouvoir traversent l’ensemble de la société. Un certain discours affirme que le paradigme de la société est la guerre civile, que toutes les interactions sociales sont des versions dérivées de la guerre civile. On peut donc renverser la proposition de Clausewitz et dire que la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens.
  • Concept grec de souci de soi comme fondement de l’éthique.

Réception

Outre que la philosophie foucaldienne a influencé (tout comme elle a été influencée par) nombre de mouvements contestataires en France et dans le monde anglo-saxon depuis les années 1970 (de l’antipsychiatrie aux mouvements des prisonniers en passant par les mouvements féministes jusqu’aux mouvements des malades – notamment dans la lutte contre le sida – et des intermittents du spectacle), la fécondité de nombre de ses propositions essentielles s’éprouve toujours dans le monde académique et au-delà des spécialisations disciplinaires.

Ce vaste champ d’application couvre de la théorie queer, des Gender Studies (Judith Butler, David Halperin, Leo Bersani) et de l’analyse de la “subjectivation minoritaire” (Didier Eribon) à l’histoire du Droit et autres “archéologies” de l’État-providence (François Ewald, Paolo Napoli) et/ou des théories sociales (sur leur versant éthique : Bruno Karsenti, Mariapaola Fimiani) ou du social (sur son versant politique : Paul Rabinow, Éric Fassin) en passant par la critique de l’économie politique (Giorgio Agamben, Toni Negri, Judith Revel, Maurizio Lazzarato).

Et ce, malgré un certain désamour de la sociologie, alors que la méthode permet au sociologue qui tente la démarche de Foucault, foncièrement constructiviste, de concevoir que le sens, tout comme l’individu, se crée dans le “social”.

La conception que Foucault défendit des intellectuels face aux pouvoirs, avançant la figure de “l’intellectuel spécifique”, et son rapport au marxisme, continuent de nourrir des controverses.

“L’héroïsme de l’identité politique a fait son temps. Ce qu’on est, on le demande, au fur et à mesure, aux problèmes avec lesquels on se débat : comment y prendre part et parti sans s’y laisser piéger. Expérience avec… plutôt qu’engagement avec… Les identités se définissent par des trajectoires… trente années d’expériences nous conduisent à ne faire confiance à aucune révolution, même si l’on peut comprendre chaque révolte… la renonciation à la forme vide d’une révolution universelle doit, sous peine d’immobilisation totale, s’accompagner d’un arrachement au conservatisme. Et cela avec d’autant plus d’urgence que cette société est menacée dans son existence même par ce conservatisme, c’est-à-dire par l’inertie inhérente à son développement”.

— Pour une morale de l’inconfort.

Source : Wikipedia
Dernière modification : 19 août 2020

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