Jack Kerouac

Mentionné dans Dead Yankee Drawl :
“Killed off literature for sex and violence
Fed a generation the equivalent of silence
Dragged Jack down to self same bigotry
Passive acceptance of a consumer society”

Jack Kerouac (né le 12 mars 1922 à Lowell, dans le Massachusetts, mort le 21 octobre 1969 à St. Petersburg, en Floride) est un écrivain et poète américain.

Considéré aujourd’hui comme l’un des auteurs américains les plus importants du XXème siècle, il est même pour la communauté beatnik le “King of the Beats”. Son style rythmé et immédiat, auquel il donne le nom de “prose spontanée”, a inspiré de nombreux artistes et écrivains et en premier lieu le chanteur américain Bob Dylan. Les œuvres les plus connues de Kerouac, Sur la route, considéré comme le manifeste de la beat generation, Les Clochards célestes, Big Sur ou Le Vagabond solitaire, narrent de manière romancée ses voyages à travers les États-Unis. Le genre cinématographique du road movie est directement influencé par ses techniques et par son mode de narration.

Jack Kerouac a passé la majeure partie de sa vie partagé entre les grands espaces américains et l’appartement de sa mère à Lowell dans le Massachusetts. Ce paradoxe est à l’image de son mode de vie : confronté aux changements rapides de son époque, il a éprouvé de profondes difficultés à trouver sa place dans le monde, ce qui l’a amené à rejeter les valeurs traditionnelles des années 1950, donnant ainsi naissance au mouvement des beatniks. Ses écrits reflètent cette volonté de se libérer des conventions sociales étouffantes de son époque et de donner un sens à son existence. Un sens qu’il a cherché dans des drogues comme la marijuana et la benzédrine, dans l’alcool également, dans la religion et la spiritualité (notamment le bouddhisme), et dans une frénésie de voyages.

Jazz poet” comme il se définit lui-même, Kerouac vante les bienfaits de l’amour (la passion charnelle est pour lui “la porte du paradis”), proclame l’inutilité du conflit armé, quel qu’il soit, et considère que “seuls les gens amers dénigrent la vie”. Jack Kerouac et ses écrits sont vus comme précurseurs du mode de vie de la jeunesse des années 1960, celle de la Beat Generation, “qui a ébranlé la société américaine dans ses certitudes. Elle a directement inspiré aussi bien les mouvements de mai 1968 que l’opposition à la guerre du Vietnam, ou les hippies de Berkeley et Woodstock. Pourtant la Beat Generation a aussi contribué à enrichir le mythe américain. Sur la route, le roman le plus connu de Kerouac, est une ode aux grands espaces, à l’épopée vers l’ouest, à la découverte de mondes nouveaux”.

Né Jean-Louis Kerouac (surnommé “Ti-Jean”) le 12 mars 1922, Jack Kerouac est issu d’une famille canadienne-française de parents québécois originaires de Bretagne installée dans la ville textile de Lowell, dans le Massachusetts. Son père, Léo Keroack (1889-1946), patronyme qu’il modifie en “Kerouac” lors de son arrivée aux États-Unis, est imprimeur ; il est apparenté au frère Marie-Victorin (Conrad Kirouac), écrivain et botaniste. Sa mère, Gabrielle-Ange Lévesque (1895-1972), appelée aussi “Mémère” par l’écrivain, est cousine issue de germains du Premier ministre québécois de 1976 à 1985, René Lévesque. Ses parents se sont mariés en octobre 1915.

Jusqu’à l’âge de 6 ans, Jack Kerouac ne parle que le français et il apprend l’anglais comme seconde langue à l’école. À 4 ans, il assiste à la mort de son frère aîné Gérard, alors âgé de 9 ans, atteint d’une fièvre rhumatismale. Cette mort est comme “une plaie qui ne se refermera jamais” et qui, plus tard, le conduit à écrire Visions de Gérard en janvier 1956 (publié en 1963).

Grâce à l’activité de son père, Jack Kerouac est introduit dans le milieu culturel et littéraire de la ville. Il assiste ainsi à plusieurs projections de films au cinéma local. Il se lie d’amitié avec un employé de son père, Armand Gautier, qui lui apprend toutes les subtilités du bras de fer, discipline dans laquelle Kerouac excelle toute sa vie. Il passe aussi des heures dans l’atelier d’imprimerie, apprenant à taper à la machine. Il acquiert ainsi une grande dextérité qui forme l’une des composantes principales et uniques de son écriture. En effet, Kerouac écrit rapidement, rédigeant souvent des chapitres entiers d’une seule traite et corrigeant peu ses brouillons. Le manuscrit de Sur la route, écrit sur un unique rouleau de papier, témoigne de cette dextérité.

À 9 ans, Jack Kerouac entre à l’école publique anglophone Barlett. L’enfant a beaucoup de mal à communiquer en anglais et il lui faut quelques années pour devenir bilingue. C’est durant cette période qu’il perd son diminutif de “Ti-Jean” pour le prénom plus américain de “Jack”. Cependant, en famille, les Kerouac continuent à parler français, avec quelques mots bretons. En dépit de ce qu’avance l’un des biographes de l’écrivain, Gerald Nicosia, auteur de Memory babe, il est peu probable, selon Patricia Dagier et Hervé Quéméner, que les Kerouac parlent exclusivement breton, la pratique de la langue ayant disparu depuis quelques générations déjà.

Jack dispose d’une grande mémoire, mais il est également très doué pour le sport, le base-ball et la course à pied avant tout. Son professeur d’anglais le déclare “brillant” et, à 11 ans, Kerouac écrit un petit roman, dans la veine de Huckleberry Finn, intitulé Mike Explores the Merrimack. La nuit cependant l’angoisse et, très tôt, Kerouac se réfugie dans l’écriture. Il produit à 11 ans des bandes dessinées humoristiques, pétri qu’il est des polars radiophoniques, dans lesquelles il prête vie au “Docteur Sax”, qui est son double fabuleux, sans ses peurs nocturnes. Mais ses peurs s’accentuent à mesure que les affaires de son père périclitent. Celui-ci se met en effet à boire et à jouer. La famille déménage dès lors sans cesse, influençant considérablement ce qui sera plus tard le caractère itinérant de Kerouac. Sa mère enfin se fâche avec Caroline, la sœur de Jack, qui se marie très jeune et quitte le domicile familial.

À 14 ans, Jack se retrouve seul à la maison. Il est intensément chéri par sa mère. Il devient aussi un athlète accompli mais reste renfermé et introverti. Il a des rapports souvent conflictuels avec ses camarades de classe et de stade. À cet âge, Kerouac ambitionne d’écrire, ce qui provoque la risée de tous, alors qu’une carrière sportive s’ouvre à lui. Ses prouesses athlétiques en font en effet une “star” dans son équipe locale de football américain. Alors qu’il joue à Nashua, dans le New Hampshire, il est remarqué par un recruteur de l’université de Boston, Franck Leahy. Son père s’en mêle, comptant faire monter les tractations. Jack part finalement étudier à l’université Columbia, à New York.

En 1939, Jack Kerouac entre donc à l’université prestigieuse de Columbia. Il a dès son arrivée “la secrète pensée de pouvoir, grâce au sport, accéder à un emploi de journaliste dans un quotidien new-yorkais”. Il lit également beaucoup. L’écrivain Thomas Wolfe est son modèle à l’époque. Cependant, Jack ne peut être directement admis à l’université ; il doit en effet effectuer une année préparatoire au collège Horace Mann, dans le nord de Manhattan. Entre le sport et les études, Kerouac n’a guère de temps pour l’écriture. Il obtient de bons résultats scolaires et se distingue surtout sur le terrain si bien qu’il a droit à des articles des journaux locaux.

Il fréquente, par ses amis, le milieu des bourgeois juifs. Il fait ainsi la connaissance du Londonien Seymour Wyse qui lui fait découvrir le jazz qui est pour Jack une véritable révélation. Il fréquente les caves d’Harlem où se produisent les stars du jazz, Charlie Parker et Dizzy Gillespie notamment, et en particulier son idole, Count Basie. Le jazz devient pour lui une religion, il est en effet “le premier à entrevoir comment le jazz peut influer sur la vie, être le moteur d’une écriture. Plus tard, il écrira comme on souffle dans un saxophone, d’une traite” expliquent Patricia Dagier et Hervé Quéméner, l’un des premiers hipster en somme. Jack décide de créer une rubrique musicale dans le journal de son collège, The Scribbler’s. Il interview des jazzistes célèbres et fréquente assidument les clubs improvisés, fume également sa première cigarette de marijuana, prélude à une longue descente dans la drogue et l’alcool.

À 18 ans il entre définitivement à l’université Columbia. Il obtient une bourse grâce à son succès au football américain mais lors d’une rencontre il subit une fracture au tibia qui l’empêche de terminer la saison sportive. Forcé de se reposer, il lit abondamment et va au cinéma. Il écrit aussi et rêve de héros vagabonds en marge de la société. Kerouac goûte aussi à la drogue et à la prostitution ; selon Patricia Dagier et Hervé Quéméner “on voit se mettre en place, alors qu’il vient d’avoir dix-huit ans, les anges et les démons de toute la vie de Kerouac”. Il fréquente Mary Carney, avec qui il entretient une relation platonique dont il tire le sujet de son œuvre Maggie Cassidy. Kerouac rencontre Sébastien Sampas, dit “Sammy”, un Grec immigré avec qui il parle longuement de littérature et de religion et qui a une influence notable sur son écriture d’après Ann Charters.

Ne pouvant jouer au football en raison de sa blessure, Jack Kerouac décide de partir voyager à travers les États-Unis. Il achète donc un billet de Greyhound (le réseau d’autobus national), en direction du Sud. Cependant, il abandonne une fois parvenu à Washington et retourne à Lowell passer l’hiver 1941-1942. Il travaille comme pigiste au journal local, à la rubrique des sports et fréquente les bars. Las de cette vie terne, Kerouac s’engage dans la marine marchande au printemps 1942. Il embarque ainsi à Boston sur le SS Dorchester, à destination de Mourmansk en mer Blanche soviétique. Kerouac croit ainsi renouer avec ses origines de marin breton, mais la traversée est décevante, hormis une escale au Groenland et une rencontre avec un Inuit dans un fjord. En décembre 1942 il est de retour à New York.

Ayant signé un contrat d’engagement avec l’US Navy avant son départ, il doit effectuer un temps sur un navire militaire. Il simule la folie afin d’échapper à cette obligation et il passe ainsi quelques semaines en hôpital psychiatrique. Il est donc renvoyé de la Marine pour cause d’“indifférence caractérisée”.

De retour à la vie civile, il dépense sa solde entière dans les bars et refuse de jouer dans l’équipe de l’université Columbia. Dès lors tout espoir de vivre du sport s’évanouit et Kerouac entame sa descente dans le milieu interlope new-yorkais. Il consomme des drogues (la marijuana et la benzédrine) et fréquente les prostitués. Il participe aussi à des orgies homosexuelles. Cependant, il rencontre des personnes qui marquent sa vie entière. Par l’entremise d’Edie Parker, sa future femme, Kerouac fait la connaissance de Lucien Carr, qui le fascine. Celui-ci lui présente Allen Ginsberg [voir “Moloch whose soul is electricity and banks! / Moloch whose Poverty is the specter of Genius / Moloch whose fate is a cloud of sexless oxygen / Moloch whose name is the Mind. Robot apartments” (Citations)], autre figure emblématique de la beat generation. Kerouac a avec ce dernier une relation ambigüe, tour à tour amants puis amis, de manière irrégulière. Il rencontre aussi un autre écrivain, William Burroughs qui est à New York pour suivre un traitement psychanalytique après avoir quitté la Vienne nazie. La bande fréquente ainsi un appartement de la 11ème rue, dans Greenwich Village, où se mêlent drogue, sexe, alcool et littérature.

Au printemps 1943 il s’engage de nouveau dans la marine marchande pour des missions périlleuses, sur le SS George Weems qui relie Boston à Liverpool. L’idée lui vient alors de retrouver ses racines familiales et bretonnes. Entre ses voyages maritimes, Kerouac séjourne à New York avec ses amis de l’université Columbia. Il commence son premier roman, Avant la route (The Town and the City), publié en 1950, qui lui vaut une certaine reconnaissance en tant qu’écrivain. Ce roman, qui a demandé trois ans d’efforts, conserve une structure conventionnelle et raconte la vie d’un jeune homme dans une petite ville très semblable à Lowell et l’attrait qu’exerce sur lui la métropole new-yorkaise.

En août 1944, Jack Kerouac aide Lucien Carr à dissimuler le corps d’un professeur de gymnastique, que ce dernier a tué à coups de couteau. Kerouac est inculpé de complicité et est placé en détention. Les parents d’Edie Parker paient sa caution à la seule condition que Jack épouse leur fille. Kerouac se marie donc à Edie Parker le 22 août 1944, sans avoir eu le choix. Ils s’établissent non loin de Détroit, à Grosse Pointe. Kerouac travaille, grâce au père de sa femme, comme vérificateur de roulements à billes. Mais, secrètement, Kerouac continue à écrire et il entrevoit très vite que cette vie ne le comble pas et nuit même à sa créativité. Il retourne donc sans prévenir quiconque à New York au cours de l’hiver 1944-1945. Kerouac rejoint une petite communauté, rassemblant Allen Ginsberg, William Burroughs, Joan (une amie d’Edie Parker qui l’invite à la colocation), Haldon Chase (surnommé “Chad King” dans Sur la route) et Herbert Huncke, située dans la 115ème rue, près d’Ozone Park.

À 24 ans, Kerouac renoue avec une vie dissolue, fréquentant chaque nuit les bars de la ville, en compagnie de ses deux amis, Ginsberg et Burroughs. Ils fréquentent aussi la pègre. L’état physique de Kerouac se dégrade à vue d’œil et, dès lors, il est incapable de faire du sport. En 1946, son père, Léo, meurt d’un cancer du pancréas. Pour Hervé Quéméner et Patricia Dagier, Kerouac devient dès cette année “de plus en plus Kerouac”, continuant de se nourrir de tonnes de livres. Ses écrits deviennent davantage autobiographiques, travaillant frénétiquement au manuscrit de Sur la route. Il écrit en effet beaucoup durant cette période. Cette “écriture introspective l’amène à s’interroger sur les fondements de son mal de vivre” et Kerouac se rend compte qu’il a “un désir subconscient d’échouer, une sorte de vœu de mort”. Ses allers et venues au domicile de sa mère Gabrielle s’amplifient. À chaque contrariété, Kerouac consulte sa mère, ce qui a pu contribuer à l’empêcher de vivre avec une femme.

En compagnie de ses amis, Kerouac expérimente d’autres formes d’écritures. Avec William Burroughs, il teste l’écriture à quatre mains, dans Les Hippopotames furent bouillis dans leur bassin alors qu’avec Haldon Chase, il stimule sa créativité en se concentrant longuement sur les personnages, au point de les faire vivre en imagination, puis d’écrire dans la foulée (c’est la méthode de la “Prose Spontanée”). C’est d’ailleurs en raison de ce mode d’écriture que Kerouac rédige le manuscrit de Sur la route sur des rouleaux de papier non découpés, atteignant des longueurs incroyables, près de 35 mètres. Il voit aussi dans ces rouleaux le symbole de la route sans fin.

En 1947, du fait de sa consommation effrenée de drogues, Kerouac fait une thrombophlébite. La communauté vit par et pour la drogue, au point que Burroughs falsifie les ordonnances des médecins pour obtenir de la morphine. Burroughs et Joan, devenue sa femme, quittent la colocation pour le Texas. Kerouac rencontre grâce à Haldon Chase le jeune Neal Cassady, un maniaque de la vitesse et des automobiles qui lui narre ses péripéties lors de ses déplacements à travers le pays. Fasciné, Kerouac décide de partir à l’aventure. Le 17 juillet 1947, au petit matin, il marche pendant plusieurs kilomètres. Il compte se déplacer en auto-stop. Il se perd à la limite de l’État de New York et subit une pluie violente qui l’oblige à rebrousser chemin. Cet épisode forme l’incipit de son roman Sur la route. Il rentre chez sa mère qui lui donne de l’argent pour repartir, cette fois-ci par autobus, jusqu’à Chicago. Dès lors, l’aventure commence réellement. De lift en lift il rallie Davenport dans l’Iowa, puis les rives du Mississippi, puis enfin Des Moines. Un des lifts préféré de Kerouac, dont l’épisode est rapporté dans Sur la route, est celui mené sur la plate-forme d’un camion, au sein d’une communauté de trimardeurs.

Kerouac arrive à Denver ; il y retrouve Haldon Chase, devenu chercheur universitaire. Il y retrouve aussi Neal Cassadi et Allen Ginsberg qui sont amants. Voulant “poursuivre plus loin [s]on étoile”, il reprend la route pour San Francisco où il entre en contact avec Henri Cru, un Français rencontré à New York, qui lui propose de travailler avec lui dans un foyer militaire pour recalés de l’immigration en attente de reconduite à la frontière. Kerouac y travaille quelques semaines mais abandonne au bout du compte. Il regagne Los Angeles et, dans le bus, tombe amoureux d’une Mexicaine, Béa Franco, avec laquelle il vit quelques temps. Puis, grâce à de l’argent envoyé par sa mère, il rallie Pittsburgh puis New York en autobus, en automne 1947. Il demeure peu de temps à New York car il décide de suivre Neal Cassady, au volant de sa voiture. Les deux hommes font des allers-retours à toute vitesse entre la Virginie et New York, puis, en janvier 1949, ils vont en Louisiane, à la Nouvelle-Orléans, rendre visite à William Burroughs.

Puis, avec LuAnne, la femme de Neal, ils poursuivent leur route vers la Californie, ponctuée d’escales chez des amis. Grâce à l’argent inespéré d’une pension du Département des Anciens Combattants (pour avoir servi durant la guerre sur les navires de ravitaillement des troupes en Europe), Kerouac retourne à New York où il avance l’écriture de Sur la route. Il repart ensuite avec Neal, en Cadillac, pour Plymouth, Denver puis Chicago. Lors d’un rapide retour à New York en 1950, il apprend avec plaisir que son premier livre, Avant la route (The Town and the City), est publié. Ce premier ouvrage valut à Kerouac quelques critiques favorables mais les tirages sont restés faibles. À compter de cette date et jusqu’en 1957, Kerouac est rejeté régulièrement par les maisons d’édition. Ses correspondances laissent sur ce point apparaître un réel découragement alors même que son existence prend une tournure de plus en plus chaotique (ses revenus sont très faibles et sa dépendance à l’alcool et aux amphétamines atteint un paroxysme). À plusieurs reprises, Kerouac envisage alors de cesser d’écrire. Kerouac n’en perd pas pour autant l’énergie d’écrire à un rythme frénétique. À l’exception de Les Clochards célestes et de Big Sur, la plupart de ses ouvrages majeurs sont écrits avant 1957.

Fin 1950, il quitte de nouveau New York, pour le Mexique cette fois, avec Neal Cassady et Franck Jeffries. Ils y retrouvent William Burroughs qui a fui le Texas, pourchassé par la justice. Après quelques semaines, Kerouac rentre à New York et fait la connaissance de Joan Haverty, sa seconde femme. Le 16 février 1952 naît sa fille, Janet Michelle dite “Jan” (morte en 1996). Kerouac ne la reconnaît pas, et ce jusqu’à sa mort.

Il quitte Mexico début septembre 1955 ; il y a “vécu un des moments les plus intenses de sa création poétique”. Kerouac y écrit en effet Mexico City Blues qui paraît en 1959. De Los Angeles il rejoint ensuite San Francisco en empruntant le “Fantôme de Minuit”, un train mythique, très utilisé par les chômeurs de la crise de 1929. Lors de ce lift, Kerouac rencontre le premier “clochard céleste” de ses aventures, épisode repris dans l’œuvre du même nom.

Durant cette période le manuscrit de Sur la route, transmis pour lecture à partir de 1952, est rejeté par l’ensemble des éditeurs américains contactés. Toutefois, Kerouac bénéficie progressivement de l’intérêt médiatique pour les acteurs de la contre-culture gravitant autour du monde du jazz et de mouvements poétiques californiens et new-yorkais. Il apparaît ainsi sous le nom de “Pasternak” dans Go publié par John Clellon Holmes en 1952, et participe en tant que spectateur très actif à la lecture du 7 octobre 1955 qui propulse sur le devant de la scène ses amis poètes beat.

Kerouac est donc à San Francisco à l’automne 1955 ; il participe à l’un des moments fondateurs de la beat generation : la lecture publique à la Six Gallery du poème Howl d’Allen Ginsberg, considéré, avec Sur la route comme l’un des manifestes du mouvement. Kerouac y fait la rencontre d’un personnage important dans sa vie : Gary Snyder, passionné de randonnées et de philosophie japonaise. “Ensemble, Jack et Gary vont inventer ce qui sera quelques années plus tard le mode de vie des hippies : un couchage dans le sac à dos, quelques maigres provisions, la toilette dans les torrents, la nudité en groupe et l’errance d’un lieu à un autre en toute liberté”. En compagnie d’un libraire de Berkeley, John Montgomery, les deux hommes font une expédition à 3 600 mètres d’altitude, dans le Parc national de Yosemite et jusqu’à Matterhorn Peak. Kerouac s’initie à la méditation et aux haïkus, ces courts poèmes japonais qui évoquent un sentiment, une situation, une atmosphère. La rencontre avec lui-même et avec la simplicité, l’absence d’excès et de drogues ou d’alcool fait que Kerouac se décide à commencer une “vie nouvelle”. Il voit dans les préceptes chinois et zen le refus de la société de consommation et ce qu’il nomme dans Les Clochards célestes (The Dharma Bums), la “grande révolution des sacs à dos”.

Après cette excursion, fin 1955, il se rend en Caroline du Nord où vit sa mère, chez qui il passe quelques temps. Il écrit du 1er au 16 janvier 1956 un ouvrage autobiographique, centré sur l’histoire de son frère mort, Visions de Gérard, puis se rend dans l’État de Washington où Gary Snyder lui a trouvé un poste de garde forestier pendant la saison des feux de forêts, à Desolation Peak, dans l’actuel Parc national des North Cascades. Il commence le 25 juin, alors que Gary part pour le Japon pour plusieurs années, et demeure reclus dans une vigie durant 63 jours. L’expérience de garde forestier est pour lui un désastre, relatée dans Les Anges de la désolation. Il s’ennuie et souffre de solitude, expérience dont il retire le roman Le Vagabond solitaire. Kerouac met cependant fin à toutes ses bonnes résolutions inspirées par Gary Snyder. De retour à San Francisco, il apprend qu’il est de plus en plus lu par la jeune génération et que son nouvel opus, Sur la route est en passe d’être édité.

En 1957, son roman Sur la route est édité par Viking Press. Très vite, le succès du roman provoque des tensions entre Kerouac et ses amis. Le succès est en effet immédiat, à tel point qu’en février 1957, le poète Kenneth Rexroth écrit à son sujet qu’il est “le plus célèbre auteur inédit en Amérique”. Kerouac obtient ainsi progressivement le soutien de deux figures importantes du monde des Lettres américaines, Malcom Cowley, éditeur chez Viking Press et cheville ouvrière de la génération perdue, et Kenneth Rexroth, poète californien et moteur de la “Renaissance de San Francisco”. Incontestablement, Cowley est à l’origine de la publication par Viking de Sur la route et il en orchestre le succès.

Dans Sur la route, Kerouac, qui a amassé une somme considérable de notes de voyages formant la matière première de ses futures œuvres, initie un genre nouveau, reflet du mode de vie prôné par la beat generation. La publication de Sur la route marque par ailleurs un tournant considérable dans la vie de Jack Kerouac, lui apportant la reconnaissance publique et le confort financier qu’il n’avait jamais connu sans pour autant devenir riche. Elle est cependant à l’origine d’une formidable incompréhension entre Kerouac, son public et la critique. Le roman l’impose en effet comme porte-parole, si ce n’est comme chef de file, d’une génération qui a grandi dans l’après guerre en rejetant les valeurs traditionnelles morales et religieuses américaines, la beat generation ; et Sur la route est “la bible du mouvement”. Toutefois l’ouvrage apparait davantage comme un témoignage, le livre d’une génération, que comme une œuvre littéraire majeure, jugement que partage d’ailleurs pleinement son éditeur. Ann Charters, qui s’est procuré le rapport de Malcom Cowley favorable à la publication, relève ainsi toute l’ambivalence de son jugement dès l’origine : “Ce n’est pas un grand livre ni même un livre qu’on peut aimer, mais il est réel, honnête, fascinant, tout entier pour le plaisir, la voix d’une nouvelle génération”. Il reste que les études, analyses, articles et même, du vivant de Kerouac, les thèses universitaires, abondent rapidement après la publication.

Dans Sur la route, le personnage principal, Sal, parcourt les États-Unis en auto-stop (et se rend également au Mexique) avec son ami Dean Moriarty, inspiré par Neal Cassady. Il noue des amitiés informelles, a des expériences amoureuses et autres. Le style de vie non-matérialiste des protagonistes est à l’origine de bien des vocations parmi les écrivains américains et le transforme en mythe vivant. Le roman est écrit en trois semaines, lors de longues sessions de prose spontanée.

De retour de Mexico, le 5 septembre 1957, il apprend que son roman Sur la route est un franc succès. Il est “promu incarnation de la beat generation” par le New York Times. Mais cette notoriété lui pèse et il boit davantage (près d’1 litre de whisky par jour). Il s’éloigne aussi de ses amis écrivains beat comme Allen Ginsberg et, dans une moindre mesure, William Burroughs. Il reproche à Ginsberg de trop rechercher l’attention du public et de trahir l’esprit beat. Même en ayant besoin d’argent, il ne se tourne plus vers eux et ne répond plus aux invitations des médias. Il est également irrité par le développement d’un bouddhisme de mode, qu’il se sent en partie responsable d’avoir crée avec ses romans, et se déclare “fervent catholique”.

En février 1957, sur l’invitation de William Burroughs, Kerouac embarque sur un navire de transport à destination de Tanger, au Maroc. Il a l’intention de visiter ensuite l’Europe mais son séjour en Afrique se passe mal. Il rentre donc à Lowell, chez sa mère, et avec elle déménage plusieurs fois. Alcoolique notoire, Kerouac a des crises de delirium tremens que n’arrangent pas les virulentes critiques dont il est la cible : il est en effet publiquement exposé depuis la publication de Sur la route. Des écrivains portent de sévères critiques à l’encontre du style peu académique de Kerouac. Le premier, Truman Capote, déclare que ses textes étaient “tapés et non écrits”. Ce lien entre la méthode d’écriture de Kerouac, la Prose Spontanée, qu’il codifie, et la qualité stylistique de son écriture, blesse Kerouac, mais ne le perturbe pas. Ce dernier fait d’ailleurs souvent référence, avec une grande ironie, à la formule de Capote. Le journaliste et essayiste Donald Adams, du New York Times, n’est guère plus enthousiaste (même si son opinion évolue par la suite) car il fustige surtout un manque de recherche et de finesse chez l’auteur. Il écrit ainsi, dans sa chronique littéraire « Speaking of Books » du 18 mai 1958 : “Relisant Sur la route et Les Souterrains de M. Kerouac, je n’arrive pas à me souvenir d’autre chose que d’un ivrogne de bar volubile et insistant, bavant dans votre oreille”. Les attaques personnelles sont également nombreuses.

D’un côté, il est dénoncé comme le chantre d’un groupe amoral sapant les bases de la civilisation. Norman Podhoretz, futur théoricien néo-conservateur, à l’époque encore influencé par le marxisme et ayant connu Kerouac à l’université Columbia, résume bien cette critique quand il écrit dans l’édition du printemps 1958 de Partisan Review : “la bohème des années 1950 est hostile à la civilisation ; elle vénère le primitivisme, l’instinct, l’énergie, le sang”. De l’autre coté, son apolitisme et son pacifisme revendiqués, son goût de l’art pour l’art et son attachement à un certain imaginaire de l’homme américain sont rapidement critiqués par la plupart de ses soutiens initiaux qui attendent de lui une position plus engagée socialement et politiquement. Le poète Kenneth Rexroth déclare ainsi dès 1958 que Kerouac est une sorte de “Tom Wolfe insignifiant” puis s’attaque très durement à lui à de nombreuses reprises. Allen Ginsberg, son ami du début, critique également Kerouac vers la fin de sa vie. Kerouac refuse en effet tout apparentement politique et regarde même avec une suspicion toute particulière l’anarchisme des intellectuels de la côte ouest liés à la beat generation, rappelant à chaque occasion : “Je n’ai rien à faire avec la politique, particulièrement avec la gauche côte Ouest de la malveillance avec futur sang dans la rue”.

Deux éléments viennent compliquer la situation. Tout d’abord, la personnalité de Kerouac lui attire l’inimitié de nombreux leaders de la gauche contestataire et de certains de ses amis. Ainsi en novembre 1958, au cours d’une conférence particulièrement houleuse à la Brandeis University Kerouac est copieusement sifflé par le public qu’il traite en retour de “communistes merdeux”. L’événement a un grand retentissement et nuit gravement à son image publique. Il s’en prend en outre violemment à James Wechsler, figure centrale de la gauche radicale américaine et éditeur au New York Post, qui est dès lors son ennemi déclaré. Kerouac reconnait lui-même dans ses lettres que la consommation abusive d’alcool a bien souvent aggravé la situation. Par ailleurs, fort de son succès d’édition, Kerouac souhaite publier les romans et poèmes écrits entre 1950 et 1957, principalement ceux de la Légende de Duluoz, textes pour la plupart beaucoup plus expérimentaux que Sur la route. Or son éditeur, Viking, n’y est absolument pas favorable, préférant un retour à des formes narratives plus conventionnelles et à la fiction. Kerouac, de son côté, refuse toute modification de ses textes visant à les rendre plus accessibles. Certains textes sont néanmoins retouchés ou écrits dans un style plus accessible par Kerouac lui-même. Seuls Les Souterrains, publiés dans la foulée de Sur la route, ne sont pas retouchés. Pour Les Clochards célestes, pourtant écrits à la demande de Cowley dans une forme narrative classique, Kerouac signale avoir dû payer de sa poche les remises en l’état du manuscrit après correction par Viking. À partir de 1959, l’éditeur Malcolm Cowley rejette tous les nouveaux manuscrits, si bien que Kerouac doit changer à plusieurs reprises d’éditeur, passant chez Avon, puis chez McGraw Hill ou F.S Cudahy.

La publication en 1959 des Clochards célestes renforce la défiance à son égard. Ce livre, écrit après la publication de Sur la route, dans un style volontairement plus conventionnel pour satisfaire ses éditeurs, est reçu comme une œuvre de commande par la critique qui majoritairement l’ignore. Seul l’écrivain Henry Miller défend activement l’ouvrage et l’auteur. Mais il est surtout largement critiqué par les tenants du bouddhisme américain, qui voient en Kerouac un bouddhiste fort peu convaincant. Alan Watts publie un article très critique avant même la publication des Clochards célestes sous le titre “Beat Zen, Square Zen and Zen”, dans lequel il note que la formule de Kerouac “Je ne sais pas. Je m’en fiche. Et cela ne fait pas la moindre différence”, renvoyant selon l’écrivain au précepte du “non-agir” (Wou-Tchen) zen révèle en réalité “une agressivité (…) qui résonne d’une certaine auto-justification”. Kerouac vit difficilement cet accueil alors même qu’il peine à défendre ses ouvrages plus anciens et sa poésie.

L’écrivain se rend ensuite en Californie et, sur l’invitation d’un ami, passe quelques temps sur la côte Pacifique afin de faire le point, loin des médias. La confrontation à l’élément maritime lui inspire un roman, Big Sur (mais aussi le long poème La Mer, Bruits de l’océan Pacifique à Big Sur), du nom de la plage au sud de San Francisco où il passe l’été 1960. De retour à New York, James Whechsler l’attaque vivement dans un livre intitulé Réflexion d’un éditeur en colère entre deux âges, lui reprochant son “irresponsabilité politique et [son] encombrement de la langue américaine avec la Poésie”. La publication de l’interview d’Al Aronowitz achève de ternir son image, tout en augmentant les tensions avec ses amis comme Allen Ginsberg ou Gregory Corso. À la publication de Big Sur, en 1962, le Times publie une critique particulièrement virulente, s’en prenant non au texte en lui-même mais à l’auteur qualifié de “panthéiste en adoration” et ayant découvert la mort à 41 ans.

Toujours plus accablé par la célébrité, Kerouac, tant bien que mal, participe à des shows télévisés et enregistre même trois albums parlés. Il prend par ailleurs position en faveur de la guerre du Vietnam et se déclare nationaliste et “pro-américain”, et ce afin d’éviter toute identification au mouvement hippie, envers lequel il se montre méfiant. L’écriture de Kerouac se focalise dès lors sur son passé. Avec Visions de Gérard, publié en 1963, il s’interroge sur son frère mort alors qu’il était très jeune, en faisant même un saint.

En juin 1965 il effectue un voyage en Europe, sur la trace de ses origines bretonnes, épisode qui donne naissance au roman Satori à Paris (1966). La recherche de cet ancêtre demeure en effet pour lui une lubie et Kerouac s’imagine beaucoup de choses à son sujet. La même année est publié l’un de ses premiers roman, Les Anges de la désolation, datant de l’époque de Sur la route.

En 1968, il met la dernière main à son roman Vanité de Duluoz, publié l’année même, et passe la fin de sa vie en compagnie de sa troisième femme Stella Sampras et de sa mère, seul, loin de ses amis de la beat generation, et dans une situation financière déplorable (à sa mort il lègue en effet 91 dollars à ses héritiers). Son dernier roman, Pic n’est publié qu’en 1971. Jack Kerouac meurt le 21 octobre 1969, à l’hôpital Saint-Anthony de St. Petersburg, Floride, à l’âge de 47 ans, d’hémorragies œsophagiques, la “mort des alcooliques”.

L’œuvre publiée de Jack Kerouac peut se diviser en cinq ensembles correspondant à des formats et des modes de production distincts. Il est important de noter que Kerouac rejetait la séparation traditionnelle entre poésie d’une part et prose d’autre part, affirmant que la totalité de ses écrits relevait de cette dernière. Cette distinction semble néanmoins pertinente dans la mesure où elle a été retenue par ses éditeurs et qu’elle structure de fait son œuvre telle qu’elle est accessible aux lecteurs dans sa forme publiée. Jack Kerouac a également écrit des essais, des articles ; il a aussi donné des interviews. Sa correspondance est également très importante. Enfin, la majorité de ses écrits sont en langue anglaise, mais quelques lettres adressées à sa mère et quelques prières (dont le Notre Père, sa prière préférée), des nouvelles et surtout un roman inachevé de 59 pages intitulé Old Bull in the Bowery, sont écrits en français. La libération de récentes archives montre que les premières pages de Sur la route ont été couchées sur le papier en langue française.

Écrits entre 1946 et 1969, ils sont appelés par Kerouac les “romans à histoire vraie” ou “aventure narrative”, refusant la dénomination “roman” qui induisait à ses yeux une dimension scénaristique et imaginaire. Ces ouvrages appartiennent presque tous au cycle autobiographique intitulé Légende de Duluoz, “Duluoz” étant le pseudonyme de Kerouac. Il a pour sujet central la vie de l’auteur et de ses proches sur une période allant de 1922 (époque qui est la trame du roman Visions de Gérard) à 1965 (avec Satori à Paris).

Kerouac, dans la présentation de sa bibliographie ou dans ses échanges avec ses éditeurs, excluait généralement son premier roman publié, The Town and the City (rebaptisé par la suite pour des raisons commerciales Avant la route) de la Légende de Duluoz, alors même que le sujet et les protagonistes de ce roman l’intègrent pleinement dans sa chronologie biographique. Ce roman diffère toutefois de son cycle autobiographique par le fait que Kerouac est encore nettement influencé par le style naturaliste de Thomas Wolfe et surtout par son intrigue partiellement imaginaire. En ce sens, la Légende de Duluoz se définit à la fois par une unité de sujet : la vie de l’auteur constituée en mythe, et de forme : l’utilisation de la prose spontanée surtout.

Le dernier roman écrit par Kerouac et publié en 1971 de manière posthume, Pic, marque une tentative de retour au roman de fiction, longtemps annoncée par l’auteur comme devant survenir au terme de la rédaction de son cycle biographique. De même, en 1999 ont été publiés des textes de jeunesse compilés dans un recueil intitulé A Top and Underground. Il est probable que quelques textes en prose n’aient pas encore été publiés, certains manuscrits ayant été rejetés ou non terminés, comme ceux intitulés Memory Boy, Zizi‘s Lament, ou encore The Sea is my Brother. D’autres ont été perdus ou endommagés, comme And the Hippos Were Boiled in Their Tanks par exemple. Ce texte, fruit d’une collaboration avec William Burroughs, traite du meurtre du professeur de gymnastique David Kammerer par Lucien Carr en 1946, mais ce dernier s’est montré toujours opposé à des publications traitant de ce sujet. Kerouac finit toutefois par l’intégrer aux derniers chapitres de Vanité de Duluoz. Penguin Books a publié en octobre 2008 ce texte, qui a servi par ailleurs de matériau à plusieurs reprises à William Burroughs. Deux inédits ont par ailleurs été édités par Pierre Guglielmina : Vraie Blonde et Vieil Ange de minuit, écrits à la fin des années 1950, découverts dans le catalogue d’une petite maison californienne. Il faut aussi signaler un certain nombre de manuscrits en français, tels que La nuit est ma Femme, de 56 pages, constitué de courtes nouvelles, et Les travaux de Michel Bretagne (dont le sous-titre, raturé, est Les confidences de Michel Bretagne) qui est un roman à confidences écrit en 1951, dans lequel Kerouac fait le bilan de sa démarche d’écrivain ; tous deux ont été présentés à l’exposition sur Kerouac à New York en 2008 et n’ont pas été publiés à ce jour.

Avant la publication de Sur la route un certain nombre d’extraits de textes de Kerouac ont été publiés dans des revues littéraires à l’instigation de ses deux principaux soutiens dans le monde de l’édition, Malcom Cowley et Keith Jennison. Ces textes ont été toutefois repris par la suite en tant que chapitres d’ouvrages publiés et ne constituent donc pas des œuvres indépendantes. Les principaux extraits écrits par Kerouac sont “Jazz Excerpts”, publiés par la revue New World Writting en 1954. Ce texte a été le premier extrait publié par Kerouac après la publication de son roman Avant la route. Il a attiré l’attention de Donald Allen et permit de relancer chez Viking Press l’idée d’une publication de Sur la route alors rejeté par tous les éditeurs. La fille Mexicaine, publié en 1955 dans Paris Review et repris dans l’anthologie The Best American Short Stories en 1956 est un extrait de Sur la Route. “Un voyage tourbillonnant dans le monde” est un autre extrait publié en juillet 1957 dans le numéro 16 de la revue New Direction in Prose and Poetry. Enfin, “Neal and the tree stooges” est un extrait de Visions de Cody, publié dans New Edition numéro 2, en 1957 également.

Enfin, Kerouac a également écrit une pièce de théâtre, intitulée Beat Generation, jamais jouée et découverte par hasard par Stephen Perrine, rédacteur en chef de Best Life. Elle se compose de trois actes et se concentre autour du personnage de Jack Duluoz, au milieu de personnages légendaires de la Beat Generation comme Allen Ginsberg et Neal Cassady.

En parallèle à son œuvre en prose, Kerouac a rédigé de nombreuses poésies. Il a été très tôt en contact avec les groupes dominants de la scène poétique américaine des années 1950 et 1960, comme l’“École de Black Mountain” représentée notamment par des auteurs comme Charles Olson, Robert Duncan et Robert Creeley), et comme la scène poétique de la “Renaissance de San Francisco” gravitant autour de Kenneth Rexroth (Philipp Lamantia, Michael McClure, Gary Snyder, Philip Whalen, Lawrence Ferlinghetti), enfin avec la scène new-yorkaise qui comptait nombre de ses amis (notamment Allen Ginsberg, Gregory Corso, Joyce Glassman).

Sa poésie en a été largement influencée tant du point de vue du style que des sources d’inspiration. Elle se caractérise par l’utilisation de formes extrêmement libres, le recours à une syntaxe propre, à un vocabulaire et à des sujets crus, relevant parfois volontairement de l’obscénité ou du trivial, ainsi que par un rythme fondé sur la musique jazz, et que Kerouac nomme tour à tour “chorus” ou “blues”. L’influence des travaux de Charles Olson et de ses amis poètes beat est sur ce point manifeste. Au contact de la poésie californienne, il a évolué vers les formes et les thèmes poétiques bouddhistes, la Sutra du Diamant l’ayant fortement impressionné. Mais c’est le bouddhisme Zen et la forme du Haïku, découvert avec Gary Snyder et Lew Welch qui l’a influencé le plus fortement. Il a écrit avec ce dernier de nombreux poèmes courts publiés après la mort des deux auteurs, créant le genre des “haïkus américains”, qui diffèrent selon lui du genre poétique japonais : “Le Haiku américain n’est pas exactement comme le japonais. Le Haïku japonais doit faire strictement 17 syllabes. Mais la structure des deux langages est si différente que je ne pense pas que le Haïku américain devrait s’inquiéter des pieds parce que le langage américain est quelque chose qui est toujours prêt à exploser”. À partir d’une image originelle, qu’il nomme “jewel center” Kerouac écrit un haïku dans un état de “semi-transe”, utilisant la technique, précisée par Ed White, du sketching : le haïku doit “esquisser”, suggérer une atmosphère en quelques mots. Son thème récurrent est l’image d’animaux évoluant dans l’immense nature.

Bien qu’un texte de Jack Kerouac, que Charles Olson a jugé très positivement, ait été inclus dans l’anthologie The New American Poetry 1945-1960 publiée en 1960 par Donald Allen, son œuvre poétique n’a pas reçu le même accueil que ses premiers romans publiés. Lawrence Ferlinghetti a refusé ainsi à plusieurs reprises de publier Mexico City Blues qu’il considérait comme une forme de prose. Quelques poèmes ont été néanmoins publiés dans des revues à partir de 1957. En revanche, peu d’ouvrages ont été imprimés et leurs tirages sont restés très inférieurs à ceux d’autres poèmes beat comme Howl, Kadish ou A Coney Island of the Mind.

Les trois principaux recueils de poésie publiés du vivant de Jack Kerouac sont ainsi Mexico City Blues, Le Livre de Rêve et L’Écrit de l’Éternité d’Or. Le roman Big Sur contient en outre, dans sa dernière partie, une poésie dont la rédaction est elle-même l’objet d’une partie du roman. La majorité des poèmes a été publiée de manière posthume et sont pour certains non traduits en français. Il s’agit parfois de compilations de textes n’ayant pas été conçues sous cette forme par l’auteur. En 1997 un recueil de réflexions rédigées entre 1953 et 1956 mais non publiées a été édité sous l’intitulé Some of the Dharma (Dharma dans l’édition française). Il mélange essais, poèmes, prières et réflexions diverses dans leur forme de rédaction initiale. Il est fortement marqué par un bouddhisme assez naïf et les difficultés existentielles de l’auteur. De son vivant, Kerouac ne mentionnait pas ces textes comme susceptibles d’être publiés et comme relevant de sa bibliographie. Kerouac lui-même n’utilisait que rarement le terme “poème” et lui préférait celui de “pomes”.

À partir de 1957 et de la publication de Sur la route, la célébrité et le positionnement médiatique de Kerouac comme porte-parole d’une génération ont amené certaines revues grand public ou littéraires à lui commander des articles originaux, des extraits ou des nouvelles encore non publiées. La plupart des nouvelles ont été en effet éditées par la suite sous forme de recueils, certains du vivant de l’auteur comme Le Vagabond Solitaire (1960), d’autres après la disparition de l’écrivain, comme Vraie Blonde et Autres (1993), sous la direction éditoriale de John Sampa. Les articles ont permis à Jack Kerouac d’exposer sa méthode d’écriture et plus généralement son rapport à la littérature, mais aussi ses positions politiques et sa vision de la beat generation, tels : “Croyance et technique pour la prose moderne” qui prend la forme d’une liste de principes (faisant écho à une lettre adressée à Arabelle Porter, éditrice de New World Writting, en réponse à des critiques après la publication de “Jazz Excerpts” en 1954) ou “Principes de la Prose Spontanée”. La série d’articles “Non point Lion mais Agneau”, “Contrecoup : la philosophie de la Beat generation” et “Sur les origines d’une génération” concernent la position de Kerouac vis-à-vis de la beat generation. Dans la plupart de ces articles, Jack Kerouac tente de donner une signification spirituelle au mouvement beatnik et le restitue dans son contexte historique, soit dix années avant la publication à succès de Sur la Route. Il espérait ainsi contrecarrer l’image négative et délinquante associée aux beatniks, dont il rejetait la paternité. Plus profondément, il tentait aussi de prendre le contrepied de certains auteurs, parmi lesquels son ami de longue date John Clellon Holmes, mais aussi Norman Mailer ou Kenneth Rexroth, qui souhaitaient positionner la beat génération sur un terrain politique ou dénonçaient au contraire sa superficialité et son égocentrisme. Anne Charter signale à ce sujet qu’Allen Ginsberg lui a conseillé “[de laisser] tomber les discours sur la beat génération (…) de laisser (…) Holmes broder là-dessus”.

Kerouac a également rédigé des chroniques comme celles, bimensuelles, pour la revue Escapade, la première en date d’avril 1959 consacré à la naissance du be-bop, la dernière d’avril 1960. Kerouac a écrit en outre quelques notices autobiographiques (reprises pour la plupart en français dans Vraie Blonde et Autres et dans la préface de Vanité de Duluoz) et des entrées de dictionnaires. Il a réalisé en 1959 la préface d’un ouvrage de photographies de son ami Robert Frank (The Americans), ainsi que le compte rendu d’un voyage en Floride avec celui-ci pour le magazine Life. Ce texte n’a pas été publié de son vivant mais en janvier 1970, Evergreen Review (n° 74), l’a publié à titre posthume sous l’intitulé “On the road to Florida”. En 1959, Kerouac avait aussi réalisé une anthologie de la littérature de la beat generation pour l’éditeur Avon Books. Sa publication devait être pluriannuelle et contenir pour sa première édition, entre autres, de nombreuses correspondances avec Neal Cassady, John Clellon Holmes, Philip Whalen, Gary Snyder, Allen Ginsberg et des textes de Gregory Corso ou Michael Mac Clure. Elle n’a cependant jamais publiée par Avon Books, passé entre-temps sous le contrôle de W.R Hearst, peu favorable au projet. En 1960 Kerouac a tenté sans succès de la faire publier par la maison d’édition de Lawrence Ferlinghetti, City Lights.

Kerouac a participé également à quelques interviews. La plus connue est celle réalisée sur le plateau d’Al Aronowitz, pour le journal New-York Post en 1959 et extraite d’une série de douze articles consacrés à la beat génération, comportant notamment une interview de Neal Cassady. Elle a été publiée en 1970 par la revue US, The Paper Back Magazine (n° 3), sous le titre “Feriez-vous une fugue pour devenir un beatnik si vous saviez que l’homme qui a écrit Sur la Route vit chez sa mère”. Ce texte a été repris en français, en 1971, aux éditions de l’Herne, dans un carnet consacré à Jack Kerouac et édité par William Burroughs et Claude Pélieu.

La correspondance de Jack Kerouac est extrêmement riche, tant par le nombre de lettres écrites que par la qualité de ses correspondants, qui regroupent toutes les figures de la beat génération : en premier lieu William Burroughs et Allen Ginsberg, mais aussi John Clellon Holmes, Corso, Neal Cassady, ou encore Gary Snyder. Éditées par Ann Charters avec l’accord de l’écrivain, de sa famille et de ses correspondants, les lettres choisies ont été regroupées en deux volumes, l’un compilant la période 1940-1956 et l’autre celle allant de 1957 à 1969. Elles permettent d’éclairer, sous un angle parfois anecdotique, les relations entre les membres de la beat génération et de comprendre le caractère dépressif et cyclothymique de Jack Kerouac. Elles portent aussi témoignage de son travail d’écrivain, tant dans la préparation de ses textes, souvent soumis au jugement de ses amis, que dans leur présentation et leur défense auprès des éditeurs et des critiques. Kerouac avait apporté un soin tout particulier à la conservation de ses correspondances et souhaitait vivement les voir publiées.

Jack Kerouac a donné de nombreuses lectures de ses textes et des textes de ses amis, bien qu’il ait reconnu volontiers être mal à l’aise dans cet exercice, d’autant plus qu’il le faisait le plus souvent sous l’emprise de l’alcool. Le cycle de lectures réalisées au Village Vanguard en décembre 1957 et sa participation à l’émission de Steve Allen en 1958 sont parmi les plus connus. Des enregistrements de lectures sont aujourd’hui édités de manière posthume.

De son vivant, en mars 1958, Jack Kerouac a réalisé un disque de lectures accompagné par Steve Allen au piano, Poetry for the Beat Generation (Hanover Record HML 5000). Blues and Haikus a été enregistré en 1958, en collaboration avec les saxophonistes Al Cohn et Zoot Sims ; Kerouac y récite de courts poèmes avec, en fond sonore, des solos improvisés de saxophone. Une lecture en solo Readings by Jack Kerouac on the Beat Generation a été enfin enregistrée en 1960. Les principaux morceaux ont été compilés dans une discographie, Kicks Joy Darkness, édité chez WMI, en 2006.

Jack Kerouac a participé au scénario et à la réalisation d’un film expérimental de Robert Frank sur la beat génération en 1959. Le scénario et le titre étaient initialement prévus pour une pièce de théâtre, mais seul le troisième acte, plus ou moins improvisé, a été utilisé pour le film. Il devait initialement s’appeler Beat Generation mais l’utilisation de ce titre par la MGM pour un film commercial a contraint Kerouac à le rebaptiser Pull My Daisy. Bien qu’il ait longtemps espéré pouvoir vendre les droits de Sur la route à Hollywood, notamment à Marlon Brando, le projet de Jack Kerouac n’a pas abouti. Francis Ford Coppola, détenteur des droits de Sur la route a entrepris de l’adapter en 1994 et en aurait proposé la réalisation à Jean-Luc Godard, mais le projet a échoué. Une seule des œuvres de Kerouac a été au final adaptée de son vivant au cinéma : Les Souterrains. Il existe cependant des projets d’adaptation, des Clochards célestes et de Big Sur par la maison de production Kerouac Films.

Doué d’une grande mémoire à tel point que ses amis le surnommaient “memory babe” (le “môme mémoire”), Kerouac possède un style d’écriture unique, fondé sur la vitesse de frappe à la machine, inspiré du rythme jazz. Il définit les principes de sa “prose spontanée” dans l’article Essentials of Spontaneous Prose de la façon suivante : “Pas de pause pour penser au mot juste mais l’accumulation enfantine et scatologique de mots concentrés”. La spontanéité réside dans un rapport immédiat avec l’écrit : “tap from yourself the song of yourself, blow! – now! – your way is your only way – ’good’ – or ‘bad’ – always honest, (‘ludicrous’) spontaneous, ‘confessional’ interesting, because not ‘crafted’” (sic) explique-t-il.

Kerouac cherche à reproduire l’ambiance de ses voyages et de ses rencontres ; pour cela il se détourne des descriptions de la littérature conventionnelle, caractéristiques selon lui d’une “langue morte”. Son style lui est en partie inspiré par son amour du mouvement jazz Be Bop et de ses improvisations. Le manuscrit de Sur la route a été dactylographié d’un seul jet sur des feuilles de papier à calligraphie japonaise collées bout à bout avec du scotch tape et non sur un rouleau de papier à télétype. Kerouac expliquera plus tard qu’il détestait avoir à changer de feuille lorsqu’il se sentait inspiré, et qu’ainsi il pouvait presque écrire “les yeux fermés”.

En réalité, l’écriture de Kerouac est plus proche de la poésie, par son rythme évocateur (qu’il nomme la “Great Law of timing”), sa cadence proche de celle du jazz aussi. Kerouac explique ainsi son ambition : “Je vois à présent la Cathédrale de la Forme que cela représente, et je suis tellement content d’avoir appris tout seul (avec un peu d’aide de messieurs Joyce et Faulkner) à écrire la Prose Spontanée, de sorte que, même si la Légende [de Duluoz] court pour finir sur des millions de mots, ils seront tous spontanés et donc purs et donc intéressants et en même temps, ce qui me réjouit le plus : Rythmiques”. Le jazz et le Be-bop ont fasciné très tôt Kerouac, qui s’en inspire pour écrire, la technique de la Prose Spontanée permettant une sorte de sorcellerie évocatoire comme celle du jazz. Alain Dister dit ainsi que Kerouac “se laisse prendre aux cliquetis de la machine comme un razzmatazz de batterie, [il] s’accorde au beat de la frappe, en rythme avec un jazz intérieur (la grande musique des mots, le swing des syllabes, le jazz des phrases) le beat, la pulsion même du roman”.

La contribution de Jack Kerouac à la naissance du mouvement littéraire et artistique de la beat generation est double. Cependant, dans les années 1950, Kerouac ne se reconnait plus dans cette philosophie de la vie qu’il a pourtant contribué à forger.

D’une part, Kerouac propose son propre sens au terme “beat”, forgé par John Clellon Holmes, qui en explicite la signification dans son article “This the Beat Generation”, paru dans le New York Times de novembre 1952 : “être dans la rue, battu, écrasé, au bout du rouleau”. Pour Kerouac, la sonorité du mot est à rapprocher du terme français “béat” : “It’s a Be-At, le beat à garder, le beat du cœur”, puis il ajoute : “C’est un Être à, le tempo à garder, le battement du cœur”, le rapprochant d’une expression utilisée par le jazziste Charlie Parker. Kerouac voit en effet dans la beat generation, et davantage à la fin de sa vie, un effort pour abandonner le confort matériel et pour se pénétrer de spiritualité ; le beatnik se devant de demeurer passif à la façon zen. Dans Vraie blonde, et autres, Kerouac explique ainsi l’origine de cette dimension mystique de la beat generation : “À Lowell, je suis allé dans la vieille église où je fus confirmé et je me suis agenouillé (…), et brusquement j’ai compris : beat veut dire béatitude, béatitude” (sic).

Mais c’est surtout avec son roman Sur la route que Kerouac entre comme chef de file du mouvement de la beat generation. En 2001 la rédaction de l’American Modern Library a en effet inclus Sur la route comme 55ème dans sa liste des 100 meilleurs romans du XXème siècle en langue anglaise. Le récit définit les éléments d’un renouveau spirituel, axé autour du voyage et de la rencontre avec l’autre. La débauche y est un thème central également ; l’écrivain y voit une des conditions de la liberté.

Porté par l’engouement du public pour la beat génération et la mode beatnik, mais ayant échoué à s’imposer comme un auteur à part entière, Kerouac a été victime d’une surexposition médiatique dès 1957, mise en avant qu’il n’avait pas recherchée. Comme l’écrivait Kerouac lui même à Holmes en 1962 avant la publication de Big Sur, faisant référence aux auteurs phares du mouvement beat : “Ils sont tous écœurés et fatigués de cette salade Beatnik”. De plus, il s’est brouillé avec ses amis beat. La notoriété aidant, Kerouac a néanmoins continué à pouvoir publier malgré des tirages de plus en plus faibles, ces derniers ouvrages devenant même nettement déficitaires. À la différence de certains autres membres de la Beat génération, tels Allen Ginsberg ou Gregory Corso, et de ses proches comme Gary Snyder ou Neal Cassady, Jack Kerouac n’a pas participé au mouvement hippie. Il a été dès lors quasiment ignoré de la critique et a perdu son audience médiatique et populaire auprès de la jeunesse, peinant même à faire réimprimer Sur la route. Dans les dernières années, Kerouac refuse d’être l’incarnation de la beat generation, ne se reconnaissant ni dans le mouvement beatnik ni dans la norme sociale. Kerouac se dit en effet “Bippie-in-the-Middle” et il en vient même, dans un élan nationaliste, à voir dans les hippies de dangereux communistes.

Admirateur d’Arthur Rimbaud (il a en effet rédigé une biographie du poète français), “L’homme aux semelles de vent” en qui il voit le premier “clochard céleste”, Kerouac appelle à la redécouverte de la spiritualité et de la mystique, par la liberté de voyage. Fervent catholique (il dessinait des pietà dans ses journaux et écrivait des psaumes), l’écrivain a cependant trouvé, avec l’aide de Neal Cassady, dans le bouddhisme, une philosophie de la quête de soi, thème central de la majorité de ses œuvres, même si c’est par la lecture de Thoreau [voir “Our life is frittered away by detail – Simplify, simplify.” (Citations)], premier écrivain américain à s’intéresser aux enseignements spirituels de Shakyamuni, que Kerouac découvre les paroles du Bouddha. En 1953 Allen Ginsberg lui fait découvrir les Essais sur le bouddhisme zen, de D.T. Suzuki.

Les Clochards célestes (The Dharma Bums), plus que tous ses autres écrits, fait l’apologie d’un style de vie inspiré par le bouddhisme Zen, de moines itinérants recherchant la pureté et des expériences spirituelles pouvant mener à l’illumination. Dans son autre roman Le Vagabond solitaire, le personnage principal y entreprend, entre autres, une retraite solitaire de plusieurs mois en tant que guetteur de feux pour l’Office canadien des forêts (inspiré par la propre expérience de Kerouac dans un emploi semblable dans l’État de Washington), à la façon d’un ermite cherchant la purification. Ses romans permettent ainsi, selon ses mots, de parcourir la “carte de la création”.

Les allusions et réflexions mystiques et théologiques sont très présentes dans l’œuvre de Kerouac, de manière syncrétiste cependant. Bien que Catholique, Kerouac parle de métempsycose, de koans zen, des cultes des Indiens d’Amérique, et d’animisme dans Big Sur notamment. Kerouac, se définissant comme un strange solitary crazy Catholic mystic, compare ainsi son Sur la route à l’une des plus grandes œuvres de la quête spirituelle chrétienne, Pilgrim’s Progress de John Bunyan, une quête qui s’ancre dans le mythe américain des grands espaces et de l’american way of life, avec une véritable volonté pour Kerouac d’en décrire les rouages et la sociologie.

Le thème du voyage et le roman Sur la route ont influencé nombre d’auteurs et compositeurs comme Bob Dylan (On the road again en 1965, album Bringing it all back home), Canned Heat (On the road again en 1968, album Boogie with Canned Heat), Francis Cabrel (Les chemins de traverse, en 1979, album Les Chemins de Traverse), Bernard Lavilliers (On the road again, en 1989, album du même nom), Gérald de Palmas (Sur la route, 1990, album La Dernière Année) ou encore Raphaël (Sur la route, 2003, album La Réalité). Bob Dylan est devenu fan de Kerouac dès 1959, à la lecture de Mexico City Blues, comme d’autres chanteurs : Jerry Garcia (fondateur de Grateful Dead), Tom Waits, Jim Jarmusch, Dennis Hopper, Thomas McGuane, le chanteur de The Doors, Jim Morrison, Richard Hell ou encore Kurt Cobain. Les musiciens Tom Waits, Jerry Garcia, Roy Harper, Ben Gibbard, Blake Schwarzenbach se revendiquent également de la poésie inspirée de Jack Kerouac.

Le titre du roman de Kerouac Satori à Paris a été récemment repris comme nom par un groupe de hip-hop. De même, le personnage principal de Sur la route, Dean Moriarty, a inspiré un groupe de country-blues international qui en a fait son nom. Michel Corringe a écrit en 1970 une chanson en l’hommage de l’écrivain, Kerouac Jack qu’il nomme le “papa des beatniks”. Jack Kerouac a par ailleurs donné son nom à la seconde scène du festival des Vieilles Charrues, se tenant chaque année à Carhaix-Plouguer dans le Finistère. Rendant hommages à son œuvre, en langue française, on peut citer également et de manière non-exhaustive : Valérie Lagrange la chanson Kerouac, le québecois Sylvain Lelièvre avec “Kerouac”.

France Culture a réalisé un feuilleton radiophonique de 20 épisodes de Sur la route, dans le cadre de l’émission Feuilleton, diffusé du lundi 25 avril au 20 mai 2005 de 11h à 11h20. Christine Bernard-Sugy a dirigé l’atelier de création alors qu’une nouvelle traduction a été réalisée par Catherine de Saint-Phalle.

Les écrits, et le style, de Kerouac ont profondément influencé la littérature américaine et mondiale. L’écrivain et reporter Hunter S. Thompson, Barry Gifford, le premier biographe de Kerouac, auteur de Sailor et Lula sont ainsi des admirateurs de son œuvre. Les auteurs Thomas Pynchon, Tom Robbins (qui a écrit une pièce de théâtre intitulée Beat Angel sur la vie de Kerouac), Richard Brautigan, Ken Kesey, Hunter S. Thompson, créateur du “journalisme gonzo”, Tom Wolfe, le japonais Haruki Murakami sont également dans la continuité de son style littéraire. Pour l’écrivain Pradip Choudhuri, les auteurs Carl Weissner et Ango Laina en Allemagne, Gerard Belart en Hollande, Claude Pélieu, José Galdo et Sylvie Guibert en France doivent beaucoup aux thèmes de la beat generation dépeints par Kerouac.

Kerouac est par ailleurs une icône du monde cinématographique. Il a ainsi inspiré le style de Marlon Brando dans le film The Wild One et James Dean dans The Rebel without a Cause, figurant des héros de la route, éprouvé par la vie et en lutte contre la société conformiste.

Au cinéma, Heart Beat, un film de John Byrum, sorti en 1980, évoque la vie de Jack Kerouac, avec Nick Nolte dans le rôle de Neal Cassady et John Heard dans le rôle de l’écrivain voyageur. Le scénario est écrit par Carolyn Cassady.

Le genre du road movie moderne est directement né du roman Sur la route. D’après l’universitaire français spécialiste du road movie, Stéphane Benaïm, le “cinéma de l’errance” américain, représenté en France par Agnès Varda, avec Sans toit ni loi, Raymond Depardon avec Une Femme en Afrique , ou encore Patrice Leconte avec Tandem, doit beaucoup à l’écriture beat de Kerouac et à ses thèmes de voyage. Kerouac a lui-même écrit un road movie pour le cinéma, de Robert Frank, qui a lui-même contribué au mouvement beat, pratiquant la traversé des États-Unis en compagnie de Jack Kerouac, intitulé Pull My Daisy, en 1959. Le film Into the Wild, de Sean Penn (2007), qui narre l’aventure solitaire de Christopher McCandless dans sa volonté de se détacher de la société de consommation peut également être lu comme une œuvre beat, proche de Sur la route.

Une rue porte son nom à San Francisco (la Jack Kerouac Alley), et le bar le Vesuvio, réputé comme fréquenté par Jack Kerouac, est toujours en activité. Un imposant parc thématique lui a été dédié au centre de la ville de Lowell dans le Massachusetts. On y retrouve des stèles de granit où sont gravés des extraits de ses romans. Un monument à son nom a été érigé en 2000 au lieu dit de “Kervoac » à Lanmeur, Bretagne. À noter qu’à Lanmeur, “Kervoac” se prononce “Kerouac”, comme le nom de l’écrivain.

En 1974 la Jack Kerouac School of Disembodied Poetics est fondé en son honneur, par Allen Ginsberg et Anne Waldman à l’université de Naropa, une université bouddhiste privée à Boulder, dans le Colorado.

En 2007, Kerouac reçoit de manière posthume une distinction honoris causa par l’université de Lowell, dans le Massachusetts.

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